La Bataillon de la Croix-Rousse
politique.
« Je me sui mi à jouer du fifre devan la procésion des ivroges et franchement ça me fésai plaisir, parceque c’était tré draule.
« Mai mon oncle m’a fai tan de complimans que je croi que gé fai une baitise.
« Pouretan ils étais bien sous, les jacobins.
« Enfin je vai m’engagé avec toi.
« Tu a l’air d’un si fran garson que j’ai confiance et je te done rendé-vou poure soupé ensemble.
« Il faudré se trouvé au cabaret du père Marteau, un soir, à 6 heures.
« En mangeant une friture et une elle de poulet, on causerai des affères de la république.
« Moi, je ni voi goute, mais je veu m’en allé à la frontiaire.
« J’en ai de trot du rôle qu’on me fai joué.
« Voilà, citoyen Saint-Giles.
« Je te parle franchement come à un bon citoyen et je te sère la min qui fai les karicatures.
« Jaiparlé au médecin si tu peu sortir.
« Il mà di : Oui ! Sa lui fera du bien pour sa guérison.
« Si je ne vais pas chez toi, c’est que à la Croix-Rousse on doi m’envouloi pour l’affière d’hière.
« Ton concitoyen qui t’estime.
« Le fifre de la 4 e du 1 er de la 2 e légion,
« Pierre SABOULEAUX.
« P. S. – Je te ménage une sureprise qui te fera plaisire. Je te recomande de n’apporté que ce qu’il fau poure peyé ton nécot ; moi je péré le mien et pas avec les gratificasions qu’il m’on donné. »
Le billet écrit, la baronne le fit porter à domicile en demandant une réponse.
Le messager revint en disant :
– Voilà, citoyen ! Saint-Giles m’a répondu : « J’écrirai ».
– Quel air avait-il ? demanda la baronne.
– Peuh ! fit le commissionnaire. Il n’avait pas d’air.
– Semblait-il fâché ?
– Un peu !
La baronne fronça le sourcil, renvoya le commissionnaire et s’écria :
– Il me boude, décidément il ne viendra pas !
Ce jour-là, Étienne passa de mauvais quarts d’heure.
Saint-Giles, en recevant l’invitation du fifre, s’était dit d’abord :
– Non, je n’irai pas !
Il était furieux contre « ce polisson » qui avait joué des airs désagréables à son ami Châlier : il voulait rompre avec ce petit drôle.
Qu’il eût blagué les ivrognes et ridiculisé Sautemouche, passe encore.
Mais Châlier ! Voilà qui était impardonnable.
Et c’est pourquoi il avait répondu au porteur de la missive :
– J’écrirai !
Formule vague qui permet d’accepter ou de refuser après réflexion.
Mais, dans son esprit, c’était tout vu : il refusait net et carrément.
On lui avait raconté toute l’affaire en détail : il savait que le fifre avait eu l’irrévérence de siffler au Clair de la Lune et Bon Voyage M. Dumolet à Châlier, l’ami du peuple, l’apôtre de Lyon.
Il était indigné, ce bon Saint-Giles, outré, exaspéré contre le fifre.
Il alla même jusqu’à lui reprocher ses fautes d’orthographe.
– Ces Blancs ! pensait-il, quel obscurantisme ! Ça ne donne même pas à leurs enfants l’instruction indispensable.
Le messager parti, il voulait répondre vertement au fifre.
En conséquence, il prit du papier, une plume et de l’encre et il écrivit, de sa large écriture :
« Monsieur, »
Ce mot s’étalant triomphalement en tête de la lettre, il s’arrêta et murmura en hochant la tête : « ce « monsieur » à un gamin, c’est bien prétentieux, ne prêtons pas à la critique. »
Il prit une autre feuille de papier, et il mit en tête :
« Citoyen, »
Mais il s’arrêta encore.
« Citoyen » le choquait autant que « monsieur », ce n’était pas un citoyen : il n’était pas digne de l’être.
Peu à peu, l’embarras aidant, Saint-Giles sentait sa première fureur se calmer, l’image du petit fifre lui apparaissait malicieuse, avenante, gaie, souriante.
– Ma foi, se dit-il, c’est un enfant, après tout, ne soyons pas solennel avec un moutard et ne prêtons pas trop d’importance à une gaminerie.
Cédant à un bon mouvement, il écrivit sur une autre feuille :
« Mon cher fifre »
Mais il était bien résolu à refuser l’invitation.
« Seulement, se dit-il, j’adoucirai les termes. »
Et il continua ainsi :
« Je suis trop fiévreux pour sortir et pour banqueter, il ne faut pas m’en vouloir de mon refus.
« Si vous persistez dans votre bonne résolution de vous engager, je vous enverrai le numéro de
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