La Bataillon de la Croix-Rousse
protesta.
– Vous avez été la première, dit-il, à conseiller de faire bonne chère, et l’abbé Roubiès lui-même a été de cet avis. J’ai cru suivre vos instructions.
– Vous avez bien fait d’intention, lieutenant, mais je suis triste et j’aurais été heureuse de m’ennuyer à mon aise.
Étienne tressaillit.
– Et la cause de cet ennui, demanda-t-il vivement ?
Il ne demandait qu’à jouer le rôle de consolateur et d’amuseur.
– Mon Dieu, dit la baronne, comme femme j’avais un sauveur comme j’avais un ami.
– Qui donc ? demanda Étienne dont la figure s’allongea d’une aune.
– Saint-Giles, dit la baronne, heureuse de torturer le lieutenant, et il va me détester maintenant.
– Ah oui ! dit Étienne en riant. C’est une brouille certaine. Vous avez sifflé son Châlier et blagué les Jacobins.
– Ça vous charme, vous… fit-elle.
– Écoutez donc, madame la baronne, je n’aime pas Saint-Giles, moi. Et si je le trouvais devant moi, dans la bataille, je lui casserais la tête volontiers.
– Par jalousie ?
– Par jalousie !
– Mon pauvre Étienne, vous êtes un imbécile ! dit aigrement la baronne.
Et lui tournant le dos, elle s’en alla vers les gardes un peu impatientés de cet entretien prolongé et leur dit :
– Messieurs et chers camarades, j’accepte l’honneur que vous me faites : c’est le banquet du merle que vous m’offrez pour avoir bien sifflé.
Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, elle fut étourdissante de verve toute la soirée.
Mais, le banquet fini, le dernier toast apporté, elle s’en alla, marquant sa mauvaise humeur contre Étienne en ne lui disant même pas bonne nuit.
Le sergent Suberville remarqua ce détail et demanda au lieutenant, quand ils furent seuls :
– Il y a donc de la brouille entre vous et la baronne ?
– Oui, dit-il ! C’est incroyable ! croiriez-vous qu’elle s’occupe de Saint-Giles.
– Elle lui doit la vie, dit M. Suberville en attisant le feu de la jalousie.
– C’est un révolutionnaire ? objecta Étienne.
– Oui, mais si spirituel ! fit M. Suberville.
– Alors, vous trouvez tout naturel qu’elle en soit amoureuse ? demanda Étienne.
– L’amour vit de contrastes ! dit Suberville d’un air philosophique.
– Sergent, allez au diable ! s’écria Étienne.
– Lieutenant, allez vous coucher ! dit M. Suberville.
Et ricanant, il tourna le dos, s’éloignant enchanté d’avoir tourmenté Étienne.
Ce bourgeois d’esprit distingué avait compris le jeu de la baronne.
« Elle lui monte la tête, se disait-il, pour l’amener à faire toutes les folies, même celle de porter sa tête sur l’échafaud, si cela est utile à la cause. »
Mais en même temps, il se demandait :
– Aime-t-elle Saint-Giles ?
La baronne elle-même n’aurait pu répondre, ne s’étant jamais posé cette question.
Mais l’ennui la força de songer à Saint-Giles.
Elle dormit mal, se réveilla au milieu du bruit des coups de pioches, de leviers et de marteaux.
On perfectionnait la défense.
Tout lui parut maussade dans cette maison : elle essaya d’une conversation avec Étienne et la trouva fort peu récréative ; il boudait.
– Non, décidément, se dit-elle, Étienne n’est pas amusant ! Ce pauvre garçon n’est pas spirituel.
Pas amusant !
Voilà le grand mot des femmes galantes.
Tout le secret pour réussir près d’elles est de les intéresser ou de les distraire.
Le premier soin d’une femme qui s’ennuie consiste naturellement à chercher un dérivatif à sa situation maussade.
Elle songea à Saint-Giles, qu’elle aurait pu revoir et qui avait de l’esprit, lui Mais elle devait être brouillée avec lui.
Que faire ?
La baronne n’était jamais à court d’imagination.
Elle se décida brusquement à écrire à Saint-Giles le billet suivant en l’émaillant à dessein de beaucoup de fautes d’orthographe :
« Citoyen Saint-Giles,
« Je sui le petit fifre !
« Tu sais bien, ce petit fifre, dont tu veu faire un républiqain. Je ne demande pas mieu. Je sui même républiqain girondin comme ceus de la compagni.
« mai, au fon, je ne sai pas ce que veu dir jacobin, pas plus que je ne sai pourquoi je sui girondin.
« Tou sa sonne a mon aureil conte un son de cloche.
« Din ! Din ! Din ! On pourait même dire : Din ! Dindon, vu ma bêtise en
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