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La Bataillon de la Croix-Rousse

Titel: La Bataillon de la Croix-Rousse Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Louis Noir
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ma compagnie.
    « Je vous serre cordialement la main malgré vos méchantes espiègleries.
    « Votre tout dévoué. »
    Il fallait signer   ; il hésita et relut sa lettre.
    – Ah   ! mais non, fit-il, je ne signe pas ça   : c’est idiot, c’est une lettre qui sent le bourgeois, qui empoisonne le Philistin, qui pue le préjugé. Pouah   !
    L’image du fifre le poursuivait toujours et il murmura   :
    – Pauvre petit diable, il m’a écrit une bonne lettre, bien franche, bien naïve, et moi, moi, je lui envoie de la prose gourmée et ridicule.
    Il déchira la lettre et se mit à réfléchir.
    « Est-ce singulier, se disait-il avec dépit, que je ne trouve rien à écrire à ce gentil garçon. »
    L’impuissance de répondre fit germer dans son esprit l’idée que le mieux serait peut-être d’aller au rendez-vous, idée qui avait été le premier élan de son cœur au reçu du billet, mais qu’il avait repoussée, sans même s’avouer qu’il l’avait eue.
    Et voilà que, comme toute idée comprimée, celle-ci reprenait le dessus.
    « Après tout, s’il est sincère, je le verrai bien, pensa-t-il   : alors, je l’encouragerai et j’aurai gagné une intelligence à la République, car il est intelligent, ce drôle-là. »
    Mais la conscience républicaine reprenait ses droits sur la fantaisie de l’artiste et sa voix protestait   : elle faisait naître des soupçons et opposait des objections.
    « Dîner avec un petit serpent qui a sifflé Châlier   ! Être le camarade d’un moutard qui a causé tant de scandale   !… »
    Il y eut combat entre le cœur et la tête, mais décidément Saint-Giles tenait à ne pas froisser ce pauvre diable de petit fifre, car il entra en capitulation avec cette conscience acariâtre de sectaire et de Jacobin.
    « Après tout, se disait-il, ce gamin a reçu une éducation dont il ne saurait être responsable à son âge. Pour la première fois peut-être, il a entendu ici professer les principes républicains. Il faut avoir pitié de ceux dont les pères sont sacristains et les oncles bedeaux. »
    Puis il fit un peu le procès de Châlier et il se dit à lui-même sur le tribun un bout de vérité indiscutable.
    « Il ne faut pas non plus pousser le fanatisme au ridicule, se dit-il. Châlier est un cerveau sublime mais malade et, souvent, ses exagérations prêtent à rire. »
    Le caricaturiste qui dormait parfois en lui, mais jamais bien longtemps, se réveilla.
    – Vraiment, dit-il, Châlier méritait d’être blagué. Quel air ils devaient avoir, lui et son canon sans gargousse   ! Moi-même j’en ferais la charge et la main m’en démange.
    Sur cet aveu, comment pouvait-il continuer à en vouloir à ce pauvre petit fifre   ?
    Et il essaya de formuler une réponse.
    Mais il ne trouvait ni le mot ni la pensée.
    Il s’en irritait sans se l’expliquer.
    Cela tenait à certaines particularités de tempérament qui caractérisent les artistes, et dont ils ne se rendent pas toujours compte.
    Ce sont des natures doubles.
    Il semblerait qu’il y a une distinction à faire entre l’homme et l’artiste, ce dernier ne pensant pas, ne jugeant pas comme le premier.
    De là, chez les grands artistes, ces étranges contradictions qui étonnent le bourgeois.
    En ce moment, l’homme chez Saint-Giles croyait que le fifre était un jeune homme, et il lui écrivait en conséquence.
    Mais l’artiste soupçonnait autre chose de vague, d’indéfini et sa susceptibilité délicate protestait.
    Saint-Giles avait ce bonheur de toujours obéir aux instincts supérieurs du poète qui était en lui, dédaignant la routine du raisonneur vulgaire.
    Ne pouvant écrire de façon à être content de sa lettre, il n’écrivit pas.
    Prenant le polichinelle, il le descendit par la fenêtre.
    À ce signal, Ernest monta.
    – Mon petit, lui dit Saint-Giles, tu vas me faire une commission.
    – Où cela, Lucien   !
    – Tu vas aller à la maison Leroyer et tu demanderas le fifre.
    – Bon.
    Et Ernest battit des mains.
    – Pourquoi es-tu si joyeux   ? demanda son frère.
    Ernest rougit sans savoir pourquoi et répondit   :
    – C’est que ce fifre, il me semble que je l’aime bien, ce garçon.
    – Tiens   ! c’est comme moi   !
    Mais, après cet aveu, Saint-Giles crut devoir faire amende honorable à ses convictions et il dit à son frère   :
    – Vois-tu, petit, nous saurons bientôt si nous pouvons être les amis de ce gamin-là ou s’il faudra

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