La Bataillon de la Croix-Rousse
le haïr.
– Moi, le haïr ! je ne pourrais pas ! dit Ernest.
– Même s’il n’était pas républicain et s’il restait royaliste ?
– Il est donc royaliste.
– Je le crains, il a été élevé dans les sacristies.
– Comme c’est malheureux ! Mais, frère, je me sens tout de même de l’amitié pour lui.
– Enfin, espérons que je le convertirai définitivement à nos idées.
– Ah ! tant mieux.
– Que j’en ferai un bon petit soldat et que, si je suis tué trop tôt, c’est lui qui te mettra au port d’armes à ma place.
– Si tu es tué, dit Ernest, moi, je te vengerai.
Et l’enfant se mit à chanter la belle strophe de la Marseillaise.
Nous entrerons dans la carrière,
Quand nos aînés n’y seront plus.
Saint-Giles sourit en voyant le feu de l’enthousiasme dans les yeux de son cadet.
– Je compte que tu feras ton devoir l’âge venu, dit-il, je suis sûr de toi, frère.
Et il l’embrassa.
Puis il lui dit.
– Tu vas aller trouver le fifre et tu lui diras que j’accepte son invitation à souper.
– Ah ! tu soupes avec lui.
– Oui.
– Tu as de la chance ! il doit être drôle tout plein.
– Trop drôle ! Je lui tirerai les oreilles pour avoir blagué Châlier. Tu le lui diras.
Mais presqu’aussitôt :
– Non, ne dis rien. Ça vaut mieux.
– Je le pensais, dit Ernest.
Saint-Giles regarda son frère et dit :
– Mais c’est donc un garçon bien bizarre que ce fifre ! Tu es comme moi, tu as peur d’y toucher.
– Il est si gentil.
– Allons va ! Dis-lui que ce sera pour demain ; le rendez-vous est au numéro qu’il m’a indiqué.
Ernest se grattait l’oreille et regardait son frère.
– Qu’as-tu donc, petit animal ? demanda celui-ci intrigué.
– Je voulais savoir s’il fallait parler de ce souper à maman.
– Pourquoi pas ? dit Saint-Giles.
Mais se ravisant sans savoir pourquoi :
– Réflexion faite, non ! dit-il. Je dirai que je vais au Club pour assister à la rentrée de Châlier.
– Eh ! tu feras bien.
– Parce que ? maître Ernest.
– Je ne saurais pas l’expliquer : mais je suis sûr que tu feras mieux de ne pas raconter la chose à maman.
Il s’en alla chantonnant et dégringola l’escalier avec une vitesse vertigineuse. Saint-Giles demeura tout rêveur.
Il subissait sans s’en rendre compte la secrète influence de la femme.
Le lendemain, Saint-Giles tint sa promesse au petit fifre.
En vain reçut-il une invitation pressante de se rendre au Club pour la rentrée de Châlier.
Malgré l’attrait d’une représentation aussi intéressante que celle-là, Saint-Giles se décida donc à aller souper avec le fifre.
Celui-ci ou celle-là avait ajouté un certain piment à l’attrait de ce repas.
Il avait négligemment dit à Ernest, chargé de la commission de Saint-Giles :
– Oh ! nous serons bien servis et l’on ne nous écorchera pas.
– Vous êtes donc bien avec le père Rateau, avait demandé Ernest, étonné qu’un fifre fut dans les petits papiers de cet homme célèbre qui avait pour clientèle les muscadins de Lyon.
– Moi, dit le fifre, je ne le connais guère ; mais ma cousine, la petite baronne, est lingère chez lui. C’est elle qui, quatre fois par semaine, remet les nappes et les serviettes en état.
– Est-ce qu’elle sera là ? avait demandé Ernest.
– Mais je pense qu’elle ne manquera pas une si belle occasion de remercier son sauveur.
– Tiens, dit Ernest, tiens, tiens !
– Pourquoi ces exclamations ? avait demandé le fifre.
– Oh… rien…
– Parle donc, petit sournois.
– Eh bien, je pense, dit Ernest, que si la petite cousine est jolie, il pourrait arriver des choses… des choses…
– Mais… quoi…
Ernest éclata de rire, puis il s’écria :
– Et si la petite baronne allait devenir ma belle-sœur !
Madame de Quercy se mit à rire franchement : cela lui sembla drôle.
– Elle est jolie, n’est-ce pas, puisqu’elle te ressemble ! dit Ernest.
– Oh ! elle est bien mieux que moi !
– Alors Saint-Giles est capable d’en devenir amoureux, déclara Ernest avec conviction.
Et, pressé de donner cette nouvelle à son frère, il serra la main du fifre ; puis, comme un gamin qu’il était, il lui donna une légère poussée que le fifre lui rendit : ils se bousculèrent un instant de la sorte et Ernest s’en alla,
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