La Bataillon de la Croix-Rousse
des cœurs.
Saint-Giles était aimé, adoré.
Il y eut une explosion de sympathie pour lui et ce fut une leçon cruelle pour Châlier.
Décidément, sa popularité s’envolait ; son noir génie lui aliénait les cœurs, il le sentit.
Peut-être est-ce pour cela qu’il ne voulut point fuir la mort après la terrible journée du 20 mai.
Les représentants, comprenant que Saint-Giles était la force du moment, l’homme d’action, lui donnèrent le commandement des forces insurrectionnelles.
Nouveau soufflet à Châlier.
Saint-Giles monta à la tribune et dit avec la simplicité d’un Spartiate :
– Je vais occuper l’Hôtel-de-Ville et, tant que je serai debout, l’ennemi n’y entrera pas.
Il étendit la main et le jura.
Châlier, incapable de supporter la vue de l’enthousiasme qui accueillit ce serment, sortit de la salle, le visage convulsé.
Saint-Giles aussitôt convoqua les chefs de groupes et il exposa devant les représentants son plan de défense.
On l’approuva.
Une heure après, il occupait l’Hôtel-de-Ville avec les troupes de ligne et les Carmagnoles.
Il ne quitta plus ce poste jusqu’au moment du combat.
L’abbé Roubiès était de ces hommes qui ne remettent jamais au lendemain ce qu’ils peuvent faire le jour même.
Or, pour lui, vaincre, c’était urgent, mais profiter de la victoire, c’était plus urgent encore.
Car, à quoi bon être vainqueur pour ne pas en profiter ?
Il était de ces hommes forts qui n’ont pas la niaiserie de travailler pour l’honneur seul : il lui fallait le profit.
Au besoin, il se serait passé des applaudissements de la galerie qu’il n’estimait que comme moyen d’influence.
Il avait parfaitement compris que la baronne tiendrait toutes ses promesses car, une fois cardinal, il pouvait lui être très utile à son tour.
Une femme aussi intelligente savait très bien qu’un cardinal dispose de trop d’influence pour ne point pouvoir distribuer mille petites faveurs et quelques gros bénéfices ecclésiastiques. Avec cela, on récompense des dévouements.
Elle lui avait donné à comprendre que sauver Saint-Giles pendant la bataille, la regardait.
L’incarcérer « agréablement » ensuite, cela lui coûterait une signature.
Donc, le salut de Saint-Giles ne le préoccupa point.
Mais sœur Adrienne, oh ! sœur Adrienne, celle-là lui tenait à cœur.
Il avait eu comme une idée de l’enterrer vive dans un in-pace de Fourvière.
Mais livrer cette fille à dom Saluste, un singe humain qui l’enlèverait à Saint-Giles, un demi-dieu, lui parut un raffinement de cruauté.
Il avait deviné le moine espagnol et il le jugeait capable de bien remplir ses vues.
Il le manda.
Dom Saluste, sans nouvelles d’Adrienne, eut comme un vague pressentiment que l’abbé allait lui parler d’elle.
Il accourut.
– Je vous ai prié de venir, mon cher dom Saluste, dit d’un air aimable l’abbé Roubiès, pour vous parler de sœur Adrienne.
L’Espagnol tressaillit.
– Cette malheureuse fille, continua l’abbé, est un scandale vivant pour l’Église il faudrait empêcher ce mariage avec Saint-Giles. Est-ce votre avis ?
– Je donnerais mon sang pour que cette vierge ne fût point la femme d’un pareil sans-culotte, dit dom Saluste.
– Mon cher dom Saluste, dit-il, je crois que, nous vainqueurs, vous pourriez gagner la Savoie en une seule nuit avec de bons chevaux.
– Vous… me… renvoyez…
– Pas seul ! je vous prierais d’emmener sœur Adrienne. De la Savoie vous gagnerez facilement l’Espagne.
– Avec elle ?
– Avec elle, sans doute. Vous joueriez le rôle de sauveur jusqu’au premier couvent espagnol. Et là…
– Là ? demanda dom Saluste.
– Mais il me semble que là votre devoir est tout tracé. Vous ferez rentrer de gré ou de force la brebis dans le sein de l’Église.
– Vous avez parlé d’un rôle de sauveur. Comment l’entendez-vous ?
– C’est bien simple. On jette cette petite fille coupable dans un in-pace. Vous allez la confesser et la convertir. Elle vous explique comment elle est devenue républicaine. Vous paraissez frappé de ses sentiments, et vous devenez un adepte ardent de la Révolution. Mentir en cette occurrence n’est pas pécher.
– Vous lui proposez le salut, et vous… l’enlevez.
– Mais comment traverser la France ?
– Vous aurez des passeports comme attaché à l’ambassade des États-unis d’Amérique, pays
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