La Bataillon de la Croix-Rousse
Étienne qui toujours plein de sollicitude s’enquit près d’elle des causes de son émotion facile à observer sur son visage bouleversé.
La baronne fit appeler M me Adolphe.
Celle-ci accourut et s’écria :
– Ah ! des contrariétés ! connais ça, moi ! les hommes ! toujours les hommes ! les monstres d’hommes ! On nous fait des traits ! Vengeons-nous ! Qu’est-ce qu’il faut faire ?
– Trouver l’Auvergnat d’hier et vous taire ! dit la baronne, et obéissez vivement pour l’homme et le silence ! Vous m’assommez avec vos réflexions.
La baronne ayant fait mettre trois fois déjà l’Auvergnate au cachot, celle-ci avait peur de la baronne car elle avait horreur d’être enfermée sans lumière, son imagination infernale peuplant l’ombre de mille fantômes.
Elle obéit donc.
Une demi-heure à peine s’était écoulée que l’Auvergnat accourait près de la baronne.
M me de Quercy posa une question nette à l’enfant de l’Auvergne.
– Écoutez, lui dit-elle, je suis le cousin de la petite jeune fille que vous avez accompagnée hier.
– Bien ! dit l’Auvergnat. Je vous reconnais.
– Pour qui me reconnaissez-vous ?
– Pour la jeune fille !
– Soit ! Répondez franchement. Pour qui tenez-vous ? Est-ce pour le roi ou pour la République ?
– Pour la République ! mais je ne veux pas qu’on fasse du mal aux prêtres.
– Bon, vous êtes avec nous ! nous sommes républicains, mais nous défendons la religion. Voulez-vous nous rendre service ? Vous savez que, quoique simple fifre, j’ai du pouvoir et surtout que je paie bien.
– Du moment où vous y mettez le prix, je ferai ce que vous voudrez. Il n’y avait pas besoin de vous inquiéter de mes idées pour ce qui est de la politique. Je suis honnête et si l’on me donne de l’argent pour faire une chose, je la fais, quand même ça me déplairait.
Et, avec une philosophie à laquelle son accent auvergnat donnait une saveur, il dit :
– Nous autres, nous chommes bons à tout faire, même la chale besogne chi on paie che que chela vaut.
– On y mettra le prix ! Combien pouvez-vous rassembler d’hommes dévoués à un écu par tête d’arrhes, à un louis de paye par jour pour avoir l’air de se battre du côté des Carmagnoles et les trahir au bon moment ?
– Trois cents bons bougres ! déclara-t-il. Et tous des camarades ! Je serai leur capitaine : ils feront ce que je voudrai.
– Quand seront-ils prêts ?
– Cette nuit, si vous voulez : une heure, deux heures au plus après minuit.
– Rassemblez-les sur les quais du Rhône à la hauteur du pont Morand. Je leur ferai donner des armes et de la poudre. Vous recevrez mes instructions. Allez !
L’Auvergnat demanda :
– Et pour moi, combien ?
– Cinq cents livres. Vous les prélèverez sur cette bourse.
L’Auvergnat ouvrit la bourse qu’on lui tendait, vit des louis, poussa un cri sauvage et sortit.
L’abbé Roubiès était arrivé presque aussitôt après le départ de l’Auvergnat : il venait prévenir Étienne que l’on passait de la défensive à l’offensive et qu’on lui accordait un grand honneur.
Il devait, avec sa compagnie, marcher à la tête de la colonne des quais de la Saône.
– Mon cher enfant, lui dit l’abbé, ton titre d’Étioles est au bout de ton épée, si tu peux arriver à planter cette épée sur la grande table des délibérations de la Municipalité qu’il s’agit de jeter hors de l’Hôtel de Ville.
Étienne jura de mourir ou d’arriver.
La perspective d’être d’Étioles grisait ce Leroyer.
Mandé par la baronne, l’abbé s’enferma avec elle.
Tous deux avaient à se parler, à faire pacte, à s’assurer mutuellement le lendemain de la victoire.
La baronne était plus sûre de l’avenir que l’abbé.
Elle était femme, jolie femme.
Force immense !
L’abbé le comprenait.
Elle l’accueillit gracieusement, le pria de s’asseoir et lui dit :
– Vous êtes trop fort pour que je ne sois pas franche avec vous. Voulez-vous que nous causions comme deux amis ?
L’abbé s’inclina sans répondre ; c’était une adhésion.
– Vous croyez, reprit-elle. Vous êtes prêtre. Vous voulez sauver la religion Vous êtes prêt au martyre.
Il s’inclina encore.
– Mais, continua-t-elle, vous êtes homme et vous seriez humilié d’être dupe Vous voulez être
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