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La belle époque

La belle époque

Titel: La belle époque Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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morceaux choisis du passé se trouvaient mis en scène selon une interprétation convenue qui confortait chacun dans ses images d'Epinal - ou celles des manuels des Frères des Écoles chrétiennes -, mais tous, dans l'assistance comme sur la scène, souhaitaient les ramener à la vie, les habiter encore. Le cinquième des spectateurs portait un costume d'«époque». Au fil des représentations, la pudeur s'émoussant, la proportion en viendrait à la moitié.
    Le plus exceptionnel tenait aux liens qui unissaient les comédiens et les témoins de ces moments inoubliables. Le huitième de la population adulte de la ville de Québec jouait un rôle. Dans les estrades, chacun avait un parent ou un ami parmi tous ces figurants. Tous, parmi ce total de seize mille
    personnes, cherchaient quelqu'un des yeux.
    —    Nous ferions mieux de nous presser, déclara Elisabeth en levant les yeux vers le ciel. Les nuages se sont accumulés au-dessus de nos têtes pendant la soirée. Bientôt ce sera l'orage.
    —    Je ne rentre pas avec toi, commença Eugénie. Je dois me rendre au bal, à l'Assemblée législative.
    —    ... Tu m'en parles pour la première fois.
    Après s'être illustrée dans le second tableau du pageant, la jeune femme avait enlevé son habit de scène et retrouvé sa robe de cotonnade. Les sous-bois bruissaient d'activité : tous les figurants essayaient de s'y dissimuler. Des constructions sommaires servaient de vestiaires, des dizaines d'habilleuses y rangeaient les costumes. Plusieurs dizaines de chevaux se trouvaient là aussi. Plus tôt, excités par les cris des Sauvages lancés à l'assaut des héroïques compagnons de Dollard des Ormeaux, de nombreux hennissements hors de propos avaient troublé les oreilles de Frank Lascelles. Il faudrait faire disparaître le crottin dès le petit jour, sinon les escarpins et le bas des robes, surtout celles ornées d'une traîne, souffriraient de l'outrage.
    Eugénie, quant à elle, arborait toujours son vêtement du XVI e siècle. Une pointe d'impatience dans la voix, elle expliqua :
    —    Lors de ma visite au parc Savard, un officier de la flotte britannique m'a invitée.
    —    Voyons, cela ne se fait pas...
    —    Avec Elise, bien sûr, mentit-elle à moitié. Pour une fois que nous avons l'occasion de rencontrer d'autres personnes que des petits boutiquiers...
    Elisabeth eut un moment envie de le lui interdire. Un regard autour d'elle la retint. La scène qui en aurait résulté, devant des comédiens dont plusieurs étaient aussi des voisins, se serait révélée insupportable. Puis de toute façon, l'événement regrouperait les citoyens les plus respectables.
    —    Ta robe ne sera pas à la hauteur, opposa-t-elle sans conviction.
    —    Celle avec laquelle je me suis rendue ici, certainement pas. Mais celle-ci convient.
    Des mains, elle désignait l'avalanche de dentelles tendue sur une large crinoline.
    —    Après tout, c'est celle de la sœur de François I er , conclut-elle.
    Ce costume de scène ne déparerait pas le bal de l'amiral Assheton Gore Curzon-Howe: une bonne proportion des invitées s'y rendrait attifée de la même façon.
    —    Il ne faudra pas rentrer trop tard, céda la belle-mère.
    —    Bien sûr... Mais comme l'invitation est pour dix heures, ce ne sera pas très tôt non plus. Tu peux rapporter ma robe à la maison ?
    —    Oui, sois sans crainte.
    Ce fut au tour d'Eugénie de regarder vers le ciel, un peu inquiète, puis elle commenta:
    —    Si je ne veux pas arriver là-bas avec cent verges de tissu trempé sur le dos, je vais y aller tout de suite. Ce soir, il sera impossible de trouver un fiacre. Bonsoir.
    La jeune fille tourna les talons afin de regagner la Grande Allée. Son vêtement n'attirerait guère l'attention: au cours des prochains jours, les habitants de plusieurs siècles hanteraient les rues de la ville. Elisabeth regarda un moment la silhouette blanche s'éloigner, puis secoua la tête en soupirant. La corvée d'expliquer à une habilleuse revêche que l'un des costumes ne serait retourné que le lendemain lui revenait.
    Au pire, elle pourrait lui préciser qu'après tout, les figurants
    en avaient assumé les frais de confection.
    —    Si nous n'arrivons pas bientôt, nous en serons quittes pour une douche, commenta Edouard les yeux tournés vers le ciel.
    —    Dans ce cas, taisez-vous et marchez.
    Elise avançait aussi vite que le lui permettait

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