Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
La belle époque

La belle époque

Titel: La belle époque Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
Vom Netzwerk:
envisager de vous nommer bientôt sénateur, compte tenu de tous les services que vous lui rendez.
    —    Ce dortoir pour vieillards ne me dit rien. Puis comme je suis encore valide, cela me disqualifie.
    —    Laurent-Olivier David a eu droit à cet honneur.
    Le vieil ami, l'organisateur de la campagne électorale de 1896, avait été gratifié de ce titre quelques années plus tôt. Thomas adressa un sourire mauvais à son interlocuteur, puis répéta :
    —    Je suis encore capable de gagner ma vie, moi.
    Taschereau lui jeta un regard oblique, songeant que le
    marchand aimerait sans doute recevoir un hochet, lui aussi.
    —    Vous avez de la chance, déclara Jeanne en enfonçant un peigne en ivoire dans la masse épaisse des cheveux blonds de sa patronne.
    Elisabeth ne sut pas quoi répondre, tellement cette phrase pouvait revêtir une multitude de significations. Elle attendit la suite.
    —Je veux dire, avoir un rôle dans cette pièce. Il y aura des milliers de personnes sur les plaines, pour vous admirer.
    Cette précision ne rassura pas la figurante. Dans ses plus mauvais rêves, sa monture se cabrait pour la jeter au sol. Elle atterrissait dans le dos d'Henri IV dans une avalanche de jupons blancs.
    —    Si tu veux y assister, je peux sans doute te procurer un billet. Pas pour la représentation de ce soir, cependant.
    —    Peut-être...
    La porte d'entrée claqua, des pas vifs retentirent dans l'escalier. Elisabeth éleva la voix pour dire :
    —    Eugénie, nous devons partir bientôt.
    —    Je sais, je sais.
    —    Un fiacre viendra nous prendre dans quelques minutes.
    Pour toute réponse, un nouveau claquement de porte, celle de
    la chambre de la jeune fille cette fois, retentit dans tout l'étage.
    —    Si ce spectacle ne commence pas bientôt, commenta la belle-mère, il ne restera plus une seule porte intacte dans toute la maison.
    Jeanne préféra ne pas formuler son opinion: avec ou sans représentation théâtrale, les mouvements d'humeur de sa jeune maîtresse se répétaient avec régularité.
    Les plaine d'Abraham s'étendaient en pente douce jusqu'à la cassure abrupte de la falaise dominant le fleuve. De vastes estrades de bois se dressaient parallèlement à la Grande Allée. Elles formaient un «U» au centre duquel les milliers d'artistes amateurs pourraient se produire à une distance raisonnable de la foule. La grande prison de Québec se tenait sur la droite, mais concentrés sur la représentation, les spectateurs arriveraient à en faire abstraction.
    Douze mille d'entre eux prenaient place sur des banquettes sommaires construites de madriers de pin sciés si récemment qu'ils embaumaient encore. Un toit léger, fait de planches, les protégeait de la pluie, mais en ce soir de première, le ciel offrait un bleu soutenu. Au centre de la vaste construction se trouvaient les estrades d'honneur, hautes de trois étages. Les chiffres 1608 et 1908 se voyaient juste au-dessous de deux clochetons, à chacune de leurs extrémités. Les deux premiers niveaux recevaient les notables, qui pourraient prendre leurs aises dans de grands fauteuils.
    Tout en haut, le dernier étage ressemblait à un poste d'observation. Frank Lascelles, vêtu d'une grande redingote noire, coiffé d'un haut-de-forme recouvert de soie de même couleur, flanqué de son assistant, pourrait surveiller le déroulement de la représentation et, si nécessaire, donner des indications en faisant de grands gestes avec les bras. Toutefois, comme tous les soirs de première, le sort du spectacle demeurait entre les mains des comédiens.
    Un peu après cinq heures, sans que personne frappe les trois coups habituels, le silence se répandit parmi l'assistance. Quelques tentes coniques, des tipis des Amérindiens de l'Ouest, se dressaient un peu à l'écart de la scène de verdure, à l'orée d'un bois. Sans doute parce que les spectacles de Buffalo Bill, les romans à deux sous tout comme le cinéma naissant, donnaient une image stéréotypée de l'habitat et des vêtements des Amérindiens, on préférait les voir dans des tuniques de peau de daim ornées de longues franges et coiffés de plumes, à la façon des peuples des Prairies.
    Alors que les ombres commençaient tout juste à s'allonger, ainsi accoutré, Donnacona sortit de l'une des tentes pour se diriger vers le fleuve, un arc dans la main gauche et la main droite posée sur son front telle une visière. Comme par enchantement,

Weitere Kostenlose Bücher