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La belle époque

La belle époque

Titel: La belle époque Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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voulait s'engager dans le scénario des visites placées sous le chaperonnage d'une mère attentive, le temps de voir si la jeune fille et lui se découvriraient des affinités électives. Eugénie, sur qui il posait un regard admirateur depuis trois ans au moins, avait bien compris ce dont il s'agissait. Surtout, elle avait déjà posé un verdict sans appel sur cette relation. Quelqu'un de plus subtil que ce grand dadais aurait encaissé la première rebuffade et changé de sujet, mine de rien. En insistant, il la mettait dans l'obligation de formuler une véritable réponse.
    La jeune fille le regarda pour la millième fois des pieds à la tête, comme pour confirmer son impression. A dix-neuf ans, quelques mois de plus qu'elle, Fernand affichait déjà un certain embonpoint, ses cheveux fins et peu abondants paraissaient disposés à quitter leur poste au premier coup de vent. Dans une semaine tout au plus, il commencerait ses études de notariat à l'Université Laval, afin de reprendre ensuite l'étude de son père. A trente ans, son ventre déborderait sur sa ceinture, sa tête luirait sous le soleil, ses émotions les plus vives viendraient de la contestation d'un testament par des héritiers frustrés de la part reçue d'un vieil oncle.
    —Je vous aime bien, admit-elle après un silence inconfortable. Mais nous n'avons aucun intérêt commun, susceptible de nous conduire plus loin.
    —    ... Je comprends.
    Le récipient débordait dans l'évier depuis un moment déjà. Il ferma le robinet, reprit son souffle avant de lui faire face et de murmurer enfin :
    —    Allons-y, sinon cette coupure aura le temps de se cicatriser avant notre retour.
    Quand ils entrèrent dans le petit salon, Edouard faisait encore mine de chercher dans le vide avec sa main toujours libre, les yeux mi-clos, alors qu'Elise tenait prudemment le bout des doigts de la plus menaçante.
    —    Vous voilà ! murmura-t-elle.
    Un peu plus, et elle ajoutait «enfin». Fernand Dupire posa la cuvette de porcelaine sur une table à cartes, Eugénie y humecta son morceau de toile avant de le presser contre la tempe de son frère pour esquisser le geste de frotter.
    —    Hé là ! Cela fait un mal de chien, réagit le garçon en se redressant bien droit sur le fauteuil, les yeux grands ouverts, alors que sa main gauche saisissait le poignet de sa sœur.
    —    Moi qui te croyais à l'agonie, répondit-elle en riant. Tu es toujours aussi pleurnichard.
    Les joues d'Elise s'empourprèrent. Si Edouard avait conservé tous ses esprits, comme il venait de le montrer, cela signifiait que sa main s'était trouvée «là» de façon délibérée... La faute prenait une dimension nouvelle et son trouble, un goût plus exquis.
    —    Que se passe-t-il ?
    La voix venait de l'entrée de la pièce. Elisabeth, son peignoir fermé jusqu'au cou, ses cheveux encore mouillés étalés sur les épaules, salua les visiteurs d'un sourire, puis ses yeux revinrent sur le blessé.
    —    Oh! Madame Picard... commença Fernand, empourpré de la voir dans cette tenue. Je m'excuse de me trouver ici à pareille heure.
    Il voulait surtout dire au moment où la maîtresse de maison procédait à ses ablutions.
    —    Monsieur Picard m'a demandé de venir le reconduire, précisa-t-il après une pause.
    Un bref moment, la vue du sang coagulé sur le visage et le vêtement de son fils provoqua l'inquiétude de la nouvelle venue, mais la mine narquoise d'Edouard, la vivacité amusée de son regard la convainquirent aussitôt qu'il n'y avait pas de mal. L'épisode se classerait dans la longue liste des coupures, écorchures, bleus et bosses accumulés au fil des ans par ce garnement.
    —    Je vous remercie de lui servir aussi généreusement de grand frère. Maintenant, si vous voulez passer dans le grand salon, je vais m'occuper de lui.
    La demeure bourgeoise possédait deux pièces où recevoir les invités. La première, le grand salon, donnait sur la rue. Les meubles recouverts de cuir, la soie grenat tendue sur les murs en faisaient l'endroit idéal où accueillir les personnages de marque. La présence d'une tourelle en façade réservait même une petite alcôve circulaire où tenir des conciliabules intimes, en retrait des autres visiteurs. Le petit salon, décoré plus modestement, se trouvait immédiatement contigu au premier. Il convenait mieux aux conversations avec des parents ou des amis de la famille. Des portes françaises, une

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