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La belle époque

La belle époque

Titel: La belle époque Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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dans la rue Saint-Joseph. Au même moment, Létourneau arrivait au bureau de son employeur.
    — Fulgence, vous voilà enfin. J'ai déniché quelques modèles de manteaux de fourrure. En janvier, ils raviront nos concitoyennes.
    Prenant son visiteur par les épaules, Thomas le conduisit vers son bureau. Âgé d'un peu plus de trente ans, ce petit homme dirigeait les ateliers de confection de la maison Picard.
    Dans la pièce de travail du marchand, toute la surface du lourd bureau de chêne disparaissait sous l'étalage des patrons venus de divers pays. Avant de se pencher sur eux, Létourneau commença par remarquer :
    —J'ai croisé votre garçon dans l'escalier. Un accident de travail ?
    Depuis une dizaine d'années, ce petit homme maigre et pâle, à l'allure discrète, gérait les ateliers de confection du magasin Picard après avoir joué un moment le rôle de secrétaire particulier. D'abord, la seule production de gants avait constitué des débuts modestes. Au fil des ans, la lingerie, les robes et les complets pour hommes occupèrent quelques dizaines de couturiers, et surtout des couturières. En se présentant au magasin pour faire prendre ses mensurations, un homme pouvait obtenir un ensemble pantalon et veste fait sur mesure pour douze dollars, presque le salaire de deux semaines d'un ouvrier. A cause de ce prix élevé, les vêtements de confection fabriqués en série dominaient toutefois largement les ventes.
    —    Edouard ? Plutôt un accident de politique. Vous avez des enfants? Je crois que vous êtes marié depuis plusieurs années.
    —    Un peu plus de huit ans. Malheureusement, le bon Dieu n'a pas voulu nous donner de progéniture encore.
    —Je ne sais pas si Dieu procède personnellement à la distribution des marmots, mais c'est comme moi avec ma seconde femme: rien en dix ans. D'un autre côté, c'est un fameux contrat. On sait quand cela commence, jamais quand cela se termine. Pensez à mon garnement : on craint pour les oreillons et la coqueluche, puis quand ces maladies deviennent moins menaçantes, la politique s'en mêle. Pour les filles, c'est pire. Il faut en plus qu'elles trouvent un mari, sans commettre la moindre imprudence en attendant !
    —    Tout de même, nous aimerions connaître ce genre de problème.
    Létourneau n'en imposait guère par la taille, la prestance ou la voix. Au terme de ses études à l'Académie commerciale des frères des Ecoles chrétiennes, il avait fallu à ce jeune employé jouissant de la confiance de Thomas cinq ans pour se faire pousser une moustache digne de ce nom. Et encore, mince comme un pinceau, elle lui donnait l'allure d'un adolescent tout juste sorti de la puberté. Pourtant, ses comptes balançaient et les ateliers gonflaient le chiffre d'affaires de la maison, ce qui témoignait de sa compétence.
    —Je vous le souhaite de tout cœur, même si en faire des adultes semble prendre plus de vingt-cinq ans. Mais laissons ce sujet et regardons ces pelisses.
    Les manteaux de fourrure, malgré la concurrence farouche de maisons spécialisées comme Laliberté et Holt & Renfrew, demeuraient d'un excellent rendement. Thomas commandait par la poste des patrons dans les grandes villes des Etats-Unis et d'Europe pour «inspirer» ses créateurs. Une inspiration confinant d'autant plus au plagiat que les modèles venaient de loin.
    —    Vous croyez que c'est faisable? demanda le commerçant en désignant un dessin représentant un manteau de vison dont toutes les peaux s'agençaient pour former des chevrons.
    —    Le mieux serait d'en découdre un...
    —    Trop cher.
    —    Ecoutez, je peux mettre mon meilleur gars là-dessus pendant quelques jours. Il travaillera avec des peaux de lapins. Bien vite, il saura reproduire cette allure.
    Au moment de s'engager dans la production de manteaux, le plus simple avait été de débaucher quelques coupeurs chez Laliberté, en leur offrant un meilleur salaire. Cela n'avait pas amélioré les relations de voisinage, mais l'économie de formation de main-d'œuvre avait compensé les quelques regards furibonds échangés lors de leurs rencontres fréquentes, quelques années plus tôt.
    —    Et la toque ?
    —    C'est certainement la plus facile à copier.
    Dans six mois, des élégantes de Québec se promèneraient dans les rues vêtues d'une fourrure exclusive... inspirée d'un modèle d'Allemagne du Nord.
    —    J'ai encore une douzaine de patrons à vous montrer,

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