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La belle époque

La belle époque

Titel: La belle époque Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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à son voisin :
    —    Tout de même, ne trouvez-vous pas troublant de voir cet invité s'exprimer avec élégance dans notre langue, quand il nous visite? Nos concitoyens qui partagent son origine n'en connaissent pas un mot, parfois un siècle et demi après leur arrivée dans cette province.
    —    Vous souvenez-vous de son père, maintenant devenu le roi Edward? ricana Louis-Alexandre Taschereau près de lui. Il s'est moqué d'une sotte de la Haute-Ville qui ne parlait pas un mot de français, lors d'un bal.
    Le roi, alors prince de Galles, avait semé la consternation dans les rangs des élites de langue anglaise en leur reprochant de ne pas connaître l'idiome de la majorité de la population de la ville. D'autres épisodes retiendraient plutôt l'attention des historiens, au moment d'écrire sa biographie : son amour immodéré pour le sexe faible, qui alimentait des rumeurs parmi les plus saugrenues, et son habileté à créer des liens politiques avec la France, dont résultait l'Entente cordiale.
    Les bavards méritèrent des froncements de sourcils de la part des amateurs de prose royale présents autour d'eux. Ils se forcèrent au silence, le temps d'entendre encore :
    —    L'histoire de la Nouvelle-France est singulièrement attrayante, tant en raison des scènes émouvantes retracées dans ses pages, que du fait de l'héroïsme des principaux personnages qui y figurent. Entre tous, le chevaleresque Samuel de Champlain y brille d'un éclat tout particulier.
    C'est surtout grâce à sa plume que le récit de ses aventures est arrivé jusqu'à nous, et ce récit, avec la sincérité et la modestie qui le distinguent, porte à chaque ligne l'empreinte
    manifeste de la vérité.
    Très vite las d'être sage, Taschereau commenta encore :
    —    Pour les Britanniques, maîtriser deux, parfois trois langues est le signe de leur parfaite éducation. Pour leurs compatriotes habitant parmi nous, connaître même un mot de français, la langue des ouvriers et des domestiques, c'est déchoir.
    —    Chut ! siffla quelqu'un près d'eux, peu intéressé par l'analyse du député de Montmorency.
    Le prince n'en avait plus que pour un court instant, et l'ineffable Adjutor Rivard, le président de la société Saint-Jean-Baptiste de Québec, lui succéda:
    —    Qu'il plaise à Votre Altesse Royale, Mesdames, Messieurs...
    —    Ce gars-là arrive à me donner des envies de suicide, grogna Thomas dans un soupir.
    —    Commencez par l'assassiner, au moins vous rendrez service à l'humanité avant de nous quitter, fit Taschereau.
    —    Allez-vous vous taire, à la fin !
    Les deux hommes se retournèrent pour voir une grosse dame toute en sueur sous le soleil. Avec un synchronisme parfait, ils touchèrent leur chapeau de paille du bout des doigts en guise de salutation et s'éloignèrent un peu. L'amante des belles-lettres ne rata rien du paragraphe suivant de l'insupportable orateur :
    —    0 Canada ! terre de vaillance et de beauté, je voudrais que ma voix fût aussi éclatante que l'olifant pour porter, dans tous les foyers, les accents de mon amour et de ma fierté. Terre que la vie pénètre partout, avec ses lacs et ses sources, avec ses rivières fertilisant la plaine ou reflétant la ramure des grands bois, terre bercée par la mélopée des torrents et la chanson des ruisseaux, irisée par les poussières jaillissantes des cascades, vivifiée par nos hivers qui soufflent l'énergie puissante et la gaieté, abritée par les cimes superbes et riche par la belle santé de ses plaines, terre où dorment les souvenirs et où reposent les espérances, terre imprégnée de la poésie des champs, des étoiles et des âmes, terre qui, dans la magnificence de ses énergies encore vierges, arrachait à son immortel fondateur ce cri d'admiration que nul, depuis, n'a surpassé et que nous répétons en ce jour: «Il se peut dire que le pays de Nouvelle-France est un nouveau monde, et non un royaume, beau en toute perfection. »
    Si la grandeur des princes et des rois se mesurait à leur capacité d'entendre sans faillir des discours ineptes, George s'élevait au-dessus de tous les autres. Jusqu'à la fin de la péroraison de Rivard, puis pendant les allocutions du vice-président des Etats-Unis Fairbanks et de l'amiral Jauréguiberry, il composa dans son esprit la lettre qu'il écrirait à sa femme en fin de soirée. Autant son père courait inlassablement les jupons, autant le

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