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La belle époque

La belle époque

Titel: La belle époque Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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la longue file qui encombrait l'allée conduisant à l'entrée du palais législatif. Finalement, ils purent descendre devant le grand édifice. Un moment, Elisabeth contempla les décorations. Toutes les niches des statues, comme la ligne du toit, étaient soulignées par des ampoules électriques. Déjà, sur la façade donnant sur la Grande Allée, elle avait remarqué les armes du prince de Galles esquissées en traits lumineux.
    —    Nous entrons ?
    Thomas lui offrit son bras. Dans le Salon vert, sous les lustres, une multitude d'invités en habits de soirée se pressaient les uns contre les autres. Des plantes et des fleurs apportées dans l'après-midi se fanaient déjà dans la chaleur ambiante, due au moins en partie à la longue guirlande lumineuse bleu-blanc-rouge qui courait contre les murs. Dans un coin de la grande pièce débarrassée des fauteuils des députés, le siège de l'orateur de la chambre, maquillé en trône d'honneur, devait recevoir l'auguste postérieur princier.
    —    Ces gens pensent danser dans ce petit espace ? demanda Elisabeth. Combien de personnes doivent être présentes ?
    —    Trois mille. Ces lieux seront bien exigus, si tous se mettent en tête de valser ensemble. Je suppose qu'avec cette chaleur, nous irons par petits groupes.
    Si trois mille invitations avaient été envoyées, les journaux du lendemain affirmeraient que cinq mille personnes se trouvèrent sur les lieux. Aucun cerbère ne contrôlant les allées et venues, les curieux et les resquilleurs furent légion. Heureusement, pour échapper à la chaleur moite, un certain nombre de gens préférèrent demeurer dans les couloirs de l'immense bâtisse.
    Un peu après onze heures, l'orchestre juché dans les tribunes de la presse commença une valse. Thomas tendit la main à sa femme et, sans heurter trop de monde dans leur mouvement, ils tournèrent un moment sur eux-mêmes. Ils regagnaient la porte pour se réfugier dans le corridor quand Edouard, fort élégant dans son habit de soirée noir, une boucle blanche autour du cou, fit son entrée.
    —    As-tu vu ta sœur ? demanda Thomas sans autre forme de salut.
    —    ... Non. Le devrais-je ?
    Le garçon ouvrit de grands yeux, intrigué, sur le point d'ajouter: «Qu'est-ce qu'elle a encore fait? »
    —    Non, non, pas vraiment. Tu es seul ?
    —    A part Fernand, personne ne semblait désireux de m'accompagner. Comme je nous imaginais mal danser ensemble...
    —    Avec un peu de chance, tu sauras bien trouver quelqu'un de plus... féminin, expliqua Elisabeth.
    Edouard fit un tour sur lui-même, pour conclure :
    —    Je n'en suis pas certain. Tu es la plus jeune dans ces lieux, quoique déjà trop vieille pour moi.
    L'assistance ne péchait pas par excès de jeunesse: difficile de compter parmi les notables et avoir moins de vingt ans. À
    tout prendre, Eugénie ne raterait rien.
    Après avoir terminé sa troisième danse, l'orchestre entama sans transition God Save the King, que la plupart entonnèrent avec un loyal entrain. Un moment plus tard, le prince George s'approcha du Salon vert. Les Picard se rangèrent contre le mur afin de laisser passer l'auguste personnage sanglé dans un uniforme d'apparat, flanqué de l'inévitable gouverneur général et d'une brochette d'officiers de son état-major.
    —    Maman, tu l'as vu te regarder? demanda Édouard quand l'invité regagna le grand fauteuil réservé à son intention.
    —    Que toi, ton père ou Joseph Savard me trouvent jolie, je le veux bien. Mais ce type, élevé parmi toutes les beautés de la cour, ne remarque certainement plus les petites marchandes.
    —    ...Joseph Savard?
    Le garçon posait sur elle des yeux rieurs. Au cours des prochains jours, à force d'allusions répétées, il finirait pas connaître tous les détails de cette histoire. Quand il se fut éloigné, Thomas revint sur le sujet :
    —    Le père de notre bon prince, devenu le roi Eddy en 1901, ne négligeait pas les charmes des marchandes, ou même des domestiques. Il est venu assez souvent au Canada pour laisser une petite tribu de bâtards, je pense. Quant aux charmes de la cour, n'exagère pas. Tu as certainement vu des portraits de la gracieuse Victoria? Je veux dire des photographies-, pas des peintures qui doivent tant à la complaisance de l'artiste.
    —    ... Oui, j'en ai vu.
    —    Moins de cinq pieds, un peu grasse, le menton fuyant, la bouche mauvaise...

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