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La belle époque

La belle époque

Titel: La belle époque Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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demi-heure, continua-t-il après une pause en englobant du regard les employées. Comme il ne se pointera sans doute plus personne, nous fermerons tôt.
    La famille logeait au dernier étage de la grande bâtisse. Thalie retrouva le plancher à regret, saisit la main de sa mère pour s'engager dans l'escalier.
    —    Tu crois que tous ces gens sont morts ? questionna-elle au moment d'arriver sur le palier.
    —    Certains d'entre eux, sûrement, ma grande. C'est très triste.
    —    C'est pour cela que je te demande toujours de faire attention, commenta Mathieu derrière elles.
    La fillette lui décocha un regard peu amène. La prochaine fois, il mettrait un peu moins d'opportunisme dans ses pulsions protectrices. À ce même moment, le glas de la basilique, toute proche, commença son chant lugubre. Comme un écho, celui de toutes les autres églises de la ville ajoutèrent leur voix. Ces cloches sonnaient pour les victimes.
    —    Tirez, tirez, je ne veux pas crever, hurlait la victime sans désemparer.
    L'horreur peinte sur le visage, le garçon de 17 ans se tenait assis, les mains cramponnées sur la lourde poutrelle d'acier qui lui épinglait les jambes dans la vase du lit du fleuve. Une douzaine de personnes tentaient désespérément de la faire bouger.
    —    Vite, coupez-moi les jambes !
    Un peu plus tôt, des hurlements atroces avaient accompagné une chirurgie de ce genre. Il ne s'agissait alors que d'un bras, l'initiative paraissait raisonnable. Mais les deux jambes, au niveau des cuisses...
    Le désespoir du blessé tenait à la marée montante. Le dos étiré pour se faire un peu plus grand, la tête inclinée vers l'arrière, maintenant il arrivait tout juste à conserver sa bouche et son nez hors de l'eau. Les vagues, avant d'aller se briser sur la plage, recouvrait un moment sa tête, le laissant ensuite toussant et crachotant. L'adolescent s'accrocha au bras du sauveteur le plus proche de lui, l'empêchant de continuer à s'esquinter sur la pièce de métal pour la soulever.
    —    Fais quelque chose, je t'en supplie...
    Une nouvelle vague couvrit les cheveux bouclés, continua son chemin. Derrière elle, l'eau couvrait désormais la bouche, faisant taire le garçon, au grand soulagement de son interlocuteur. Il ne restait plus que le nez, dont les narines palpitaient, à l'air libre. Ses yeux exprimaient la plus extrême frayeur. Ses deux mains agrippaient la personne près de lui avec une telle force que le lendemain, ses avant-bras seraient couverts de bleus. Il tentait des gestes saccadés pour se dégager, ce qui avait pour effet de déchirer encore plus la chair de ses cuisses, mordues par la poutrelle.
    La vague suivante couvrit définitivement le nez, la traction sur les bras du secouriste s'exerça avec plus de force encore pendant trente secondes peut-être, puis des bulles crevèrent la surface dans un affreux gargouillis. Les yeux du sauveteur demeuraient soudés à ceux, grands ouverts, de la victime, encore discernables sous quelques pouces d'eau.
    —    Non, ne meurs pas...
    Le cri venait d'une poitrine aussi jeune que celle du noyé...
    —    ... Papa, fais quelque chose !
    Quelqu'un entoura les épaules du secouriste de son bras avant de constater, la voix brisée :
    —    Nous ne pouvons plus rien faire, Edouard. Nous avons perdu.
    Thomas tira un peu, pour ramener son fils vers la rive. Celui-ci ne bougea d'abord pas, cria encore d'un ton effaré :
    —    II... Il me tient!
    A ce moment, les mains sur ses avant-bras relâchèrent leur prise, puis le haut du corps du noyé s'enfonça dans l'eau sale du fleuve, se dérobant enfin à sa vue.
    —Viens avec moi, nous ne pouvons plus rien, pour personne.
    Les vagues leur venaient maintenant jusqu'à mi-cuisse, la marée atteignait son niveau le plus haut. Bientôt ce serait le reflux. Dans quelques heures, le jeune travailleur serait de nouveau à découvert, beaucoup trop tard.
    Au moment où le premier frémissement de la longue structure de métal s'était fait sentir, Thomas avait tourné les talons pour courir vers le rivage, remorquant derrière lui son fils et hurlant aux ouvriers de déguerpir. L'extrémité sud du pont s'était d'abord affaissée, puis comme un château de cartes tout le reste avait suivi très vite. Certains témoins évoqueraient plus tard un délai de trente secondes. Pendant les dernières verges parcourues, les madriers se dérobaient sous leurs pieds. Le temps de

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