la Bible au Féminin 03 Lilah
en exil. Cela n’est plus.
— Ezra, je le sais mieux que personne et je suis fière de ce que tu es, de ce que tu deviens. Jamais je ne…
— Un guerrier de Perse rentre à Suse-la-Ville, l’interrompit Ezra. Et alors ? Si cela est une nouvelle pour toi, ma sœur, ça n’en est pas une pour moi.
Lilah réunit ses mains pour les empêcher de trembler, mais elle soutint le regard de son frère.
— Ne sois pas si intransigeant ! As-tu vraiment oublié que tu appelais Antinoès ton « frère » ? As-tu oublié qu’il te tenait la main quand tu pleurais notre père et notre mère ? As-tu oublié que tu m’embrassais en l’embrassant ?
Ezra eut un drôle de sourire, beau et profond. Mais qui n’adoucit en rien ses traits.
— Je n’oublie rien, Lilah. Je travaille chaque jour avec maître Baruch pour ne rien oublier de ce que nous sommes, nous, le peuple de l’Alliance avec l’Éternel. Je n’oublie rien qui ne mérite d’être oublié. Je n’oublie pas que tu es ma sœur bien-aimée. Que sans toi la vie ne rentrerait jamais dans cette masure, ni la beauté ni la tendresse. Je n’oublie pas qu’il y a toi et moi et que rien, pas même ton guerrier perse, ne peut souiller l’amour éternel de Lilah pour Ezra.
Maître Baruch ne dormait plus. Il regardait Lilah intensément. Elle se leva, avança vers le seuil avec le désir de quitter la pièce sans un mot. Mais ce fut plus fort qu’elle. Elle se retourna et déclara, le ventre noué :
— Rien de ce qui me vient de mon guerrier perse ne me souille, Ezra. C’est lui qui fait entrer la vie et la beauté et la tendresse en moi.
Un jour de colère
Sarah, épouse de Mardochée, surveillait les ouvrières. Elle allait d’un métier à l’autre, observait les ouvrages, la régularité des mailles et l’ordonnancement des couleurs, la pression d’une trame, le grain d’une ligne, la qualité d’un nœud.
Bien qu’aujourd’hui elle eût grand-peine à s’y intéresser. Sans cesse, elle éprouvait le besoin de sortir dans la cour. Une cour vide où le soleil d’automne dessinait de longues ombres qu’effaçait de temps à autre le passage d’un nuage.
Une grimace d’agacement pinça ses lèvres si parfaitement dessinées pour les douceurs de l’existence. Un pli se creusa entre ses sourcils et durcit son visage alors qu’elle retournait à l’atelier.
C’était une longue et vaste galerie ouverte par une succession d’arches. La lumière y pénétrait sans entraves jusqu’au mur opposé, blanchi à la chaux, où sept tisserandes se tenaient côte à côte.
Autour des métiers s’entassaient des bobines de fils, des navettes vides ou pleines, des règles à serrer, des baquets remplis d’aiguilles d’os ou de bois. Des lames de bronze de différentes tailles, permettant les mesures, étaient soigneusement disposées sur des chevalets bas. À l’une des extrémités de l’atelier, derrière deux grandes navetteuses à pédales, une cinquantaine de paniers méticuleusement rangés contenaient un assortiment de fils de laine offrant toutes les couleurs de la création. À l’autre bout de l’atelier, on suspendait les nattes achevées à des portants de bois.
Quelques ouvrières allaient et venaient, charriant des paniers de navettes. Les tisserandes, elles, se tenaient assises sous les métiers à tisser. Le haut des cadres était suspendu à des anneaux de bronze scellés dans le mur à hauteur d’homme. Le bas des métiers reposait sur de petits tréteaux sous lesquels les femmes pouvaient glisser leurs cuisses. Certaines, s’aidant de coussins, préféraient replier leurs jambes, les mollets sous les fesses. D’autres choisissaient d’installer un simple amas de vieilles laines entre leurs fesses et le sol de briques crues.
Les mains s’agitaient avec précision et célérité, glissant, écartant, tirant, comptant. Des poids pareils à de minuscules roues étaient noués aux fils verticaux. À chaque passage des navettes ils frappaient ventres, cuisses ou poitrines. Leurs cliquetis et les claquements des règles résonnaient jusque dans la cour, parfois si intensément qu’ils faisaient songer à la mastication d’un fabuleux et insatiable animal.
Pas une des ouvrières ne levait le visage ou ne se détournait de sa tâche. Elles devinaient l’approche de Sarah aussi bien que si elles possédaient des yeux derrière la tête. Alors, leurs mains semblaient voler encore plus vite et plus habilement
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