la Bible au Féminin 03 Lilah
est venue jusqu’ici. Elle se lamentait si fort que tu aurais pu l’entendre dans Suse-la-Ville ! On lui a donné un peu d’orge.
Il s’interrompit avec un petit sourire.
— Attends.
À nouveau il se plia au-dessus de la margelle du four, retira de sous les cendres un petit plat de terre clos d’un couvercle.
— Une surprise pour maître Baruch, annonça-t-il, soulevant le couvercle en s’aidant d’un linge et guettant la réaction de Lilah.
Dans une volute de vapeur, un parfum alléchant roula jusqu’aux narines de Lilah.
— Mmm, ça sent délicieusement bon.
— Purée de rave, de datte et de poisson émietté, avec beaucoup de cardamome, du basilic et du lait caillé. Une recette que j’ai inventée.
— Mais maître Baruch a mal au ventre et dit qu’il ne veut rien manger !
— Oh, il a mal au ventre tant qu’il n’a pas ça sous le nez ! Tu verras, rien que d’en respirer l’odeur, il en frémira de plaisir.
Et lui, Sogdiam, en tremblait de rire. Lilah rit avec lui.
— J’ignorais que tu aimais faire la cuisine à ce point.
— J’essaie une chose ou une autre. Je fais des mélanges, je goûte. Si j’aime bien, je le propose à Ezra et à maître Baruch. Ils ne mangent pas beaucoup, mais ils goûtent. Ils ne sont pas difficiles. Parfois, ça leur plaît pour de bon. À maître Baruch surtout, en vérité. Il voulait toujours les mêmes bouillies d’orge, à cause de ses dents. Ou plutôt de son absence de dents. Et moi, j’en avais assez de sentir toujours la même odeur dans cette cuisine…
Lilah avait trempé une cuillère de bois dans le plat. La finesse des saveurs la surprit.
— Excellent !
Sogdiam rayonnait de fierté.
— Mais ce n’est pas en faisant cette cuisine que tu as vidé les panières, reprit Lilah. Alors, la femme qui est venue, pourquoi se lamentait-elle ?
— Toi, quand tu veux quelque chose ! soupira Sogdiam. « Plus de farine, plus de farine, plus rien à manger ! » voilà ce qu’elle braillait. Qu’elle avait trois garçons et plus rien de rien pour les nourrir.
— Alors ?
— Alors, elle a fait un tel tintamarre qu’Ezra a dû quitter son étude. « Sogdiam, pourquoi laisses-tu faire tout ce vacarme dans ma cour ? » Je lui explique. Il me demande : « Pourquoi son mari ne lui donne-t-il pas de quoi nourrir ses enfants ? » Comment je pouvais savoir ? Je pose la question à la femme. Elle me répond qu’elle n’a pas de mari. Ezra se fâche : « Elle a trois fils et pas de mari ? » Alors je lui ai rappelé que ma mère aussi avait eu un fils et pas de mari. « C’est bien pour ça que tu m’as pris avec toi ! » j’ai dit. Ezra avait son regard noir. Son regard de nuit sans lune, comme je l’appelle. À côté de nous, maître Baruch riait dans sa barbe, sans rien dire, comme à son habitude. La femme pleurait toujours au milieu de la cour. Des gémissements à vous faire grincer les dents. Ezra s’est décidé. Il m’a dit : « Donne-lui ce qu’il lui faut, et qu’elle cesse de pleurer. Je veux pouvoir étudier en paix. » Et voilà.
— Comment, voilà ? Tu lui as donné toute votre réserve ?
— Non. Juste ce qu’il lui fallait pour quatre jours. Lilah hocha la tête, trop étonnée pour réagir. Puis elle demanda encore :
— C’était il y a longtemps ?
— Au mois de kislev, pour être précis.
— Ainsi, depuis, vous lui donnez de votre grain ? C’est pour cela que vos panières sont toujours aussi vides ?
Sogdiam baissa le front pour masquer un petit sourire malin.
— À elle et aux autres.
— Aux autres ?
— Au bout de quatre jours, la femme est revenue. Pas seule. Avec six autres femmes. Des plus jeunes qu’elle, mais qui vivent aussi dans des zorifés. Elles ne pleuraient pas, celles-là. Elles m’ont expliqué qu’elles étaient chacune dans la situation de la première. Un enfant ou deux, et pas de mari. Comme l’été et l’automne ont été très secs, les récoltes faibles, on ne les a pas laissées glaner. Elles avaient la faim au ventre. Ça se voyait, je te le jure.
— Tu leur as donné comme à la première ?
— J’ai d’abord demandé à Ezra. Il a eu son regard de nuit sans lune. Pas longtemps. Il m’a demandé si nous avions assez. J’ai dit que oui. « Alors, donne. Qu’elles ne pleurent plus. Donne et sois attentif à être juste dans la répartition, puisqu’elles n’ont pas le même nombre
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