la Bible au Féminin 03 Lilah

Décidément, oui, ce jour était celui de la colère.
    Lilah essaya de s’apaiser en buvant une gorgée de la tisane brûlante. Cette boisson qu’affectionnait sa tante, au goût âpre et doucereux tout à la fois, semblait avoir été conçue à son image.
    Sarah était penchée vers elle. La curiosité lui plissant le visage, elle souffla :
    — Je sais que tu étais avec Antinoès la nuit dernière. Je t’ai entendue rentrer.
    Elle gloussa et ajouta :
    — Ce n’était pas l’envie qui me manquait d’aller te voir sur-le-champ, pour que tu me racontes tout. Mais Mardochée avait décidé de dormir avec moi. Une fois n’est pas coutume !
     
    *
    * *
     
    Les questions fusaient et Lilah répondait le plus brièvement possible à cette inquisition. Oui, Antinoès l’aimait toujours de la même passion. Oui, il était devenu un héros du Roi des rois. Oui, il la voulait pour épouse. Oui, oui…
    — Et Ezra ?
    Lilah se mordit les lèvres. Puis, devant les grands yeux brillants d’impatience de sa tante, elle sourit.
    — Ezra est comme Antinoès, répondit-elle. Il n’a pas changé, lui non plus.
    — Pas changé ? Tu veux dire ?
    — Tu sais ce que je veux dire, ma tante.
    Le visage de Sarah n’avait plus rien de doux ni de tendre.
    — Il ne veut pas de ton mariage, c’est ça ?
    — Il est dans son étude et rien d’autre ne l’intéresse, répliqua Lilah avec patience.
    — Ce que je sais, c’est qu’il est fou et qu’il causera ton malheur.
    À présent la voix de Sarah était aussi dure que lorsqu’elle découvrait un défaut dans un tapis.
    Lilah fut sur le point de se lever. De quitter la pièce. Elle aussi avait envie de prononcer des paroles définitives. Envie d’affirmer haut et fort qu’elle n’était plus une enfant, que tout cela ne concernait qu’elle seule et qu’on devait la laisser en paix. Mais ce serait se cacher la vérité. Qu’elle le veuille ou non, ses épousailles avec Antinoès les concernaient tous.
    Elle s’obligea à répondre avec calme :
    — Non, je n’ai pas parlé du mariage. Ce n’était pas la peine.
    — Pas la peine ? Pas la peine de parler de ton mariage ? Qu’est-ce que tu racontes ?
    — Il n’y a rien de tellement urgent, tante Sarah. Laisse un peu de temps à Ezra. Il sait qu’Antinoès est de retour. Il va y songer.
    — Y songer ! s’écria Sarah. On sait comment il va y songer.
    Lilah se tut.
    — Mais toi ? reprit Sarah en fronçant les sourcils. Toi, tu le veux ce mariage, n’est-ce pas ? Vous vous aimez ! Vous vous êtes promis…
    — Ce que nous nous sommes promis ne regarde que nous, ma tante !
    Malgré elle, Lilah avait parlé sèchement tout en reposant brutalement son gobelet sur le plateau.
    Une plainte sourde s’échappa de la poitrine tremblante de Sarah. Elle se tourna vers le jardin. Elle pleurait. Elle avait une manière très particulière de pleurer, sans un bruit et presque sans larmes. Un violent frisson lui parcourait la gorge et faisait trembler ses lèvres.
    — Tante Sarah !
    — Tu ne veux plus te marier ?
    — Ce n’est pas ce j’ai dit.
    Sa tante la considéra un instant avec stupeur, puis secoua la tête.
    — Je ne vous comprends pas ! Ton frère, il y a longtemps que je ne le comprends plus. Mais toi, aujourd’hui…
    — Ezra fait ce qui lui semble juste, répéta Lilah en se souvenant qu’elle avait usé des mêmes mots pour apaiser Antinoès.
    — Ah oui ? Qu’est-ce que ça veut dire, juste ? Faire tout ce qu’il peut pour peiner son oncle et sa tante ?
    — Tante Sarah ! Ezra n’est plus un enfant depuis longtemps. L’oncle Mardochée et toi, vous savez ce qu’il fait dans la ville basse, et pourquoi. Vous devriez en être fiers et reconnaître sa grandeur.
    — Sa grandeur ! glapit Sarah. Dans la ville basse ? Comme si ce n’était pas pour nous faire honte ! Ses études, il pourrait très bien les mener ici. Même avec son vieux sage venu d’on ne sait où comme un mendiant. Il n’y a pas meilleur homme que Mardochée. Même après tout ce temps, il accueillerait encore Ezra les bras grands ouverts. Mais non !
    — Tante Sarah, il est des lois pour les Hébreux, s’enflamma Lilah en quittant les coussins. Des lois pour nous tous. Pour chaque instant de notre vie, et qui nous viennent du Dieu du ciel. L’exil nous les fait oublier. Elles sont inscrites dans le rouleau de Moïse. Celui qui est passé de père en fils dans notre famille