la Bible au Féminin 03 Lilah
à Hélamsis de les porter de l’autre côté de la cour, dans l’atelier de Mardochée, lorsque le grondement tant attendu résonna. Hélamsis, qui connaissait bien la raison de l’impatience de sa maîtresse, annonça avec soulagement :
— Ah ! voici le char de ta nièce Lilah !
*
* *
— Eh bien, en voilà des manières ! s’exclama Sarah. Alors qu’elle tendait la main vers Lilah pour l’aider à descendre du char, Axatria la bouscula sans ménagement.
— Ne pourrais-tu t’excuser, ma fille ? gronda encore Sarah.
Le reproche demeura sans effet. Axatria traversa la cour de réception à grands pas, traînant derrière elle le couffin vide. Elle disparut entre les colonnades conduisant à la seconde cour, réservée aux appartements et aux cuisines.
— Que lui arrive-t-il ? souffla Sarah, qui n’en revenait pas.
— Oh ! aujourd’hui, c’est jour de colère, répondit Lilah en sautant légèrement du char. Tout le monde est en colère, Axatria, Ezra, et même Sogdiam !
— De colère ? Pourquoi donc ? À cause de lui ?
Lilah ne put retenir un petit sourire. Lui ne pouvait être qu’Antinoès. Elle n’eut que le temps de replacer son châle sur ses épaules avant que sa tante ne lui saisît le coude.
— Viens, ne restons pas là. J’ai fait porter de la tisane de sauge et de rose dans ma chambre.
En vérité, ce que Sarah appelait sa chambre consistait en deux pièces spacieuses. L’une était une vraie chambre, tandis que l’autre, agrémentée de tables basses, de coffres et de quantité de coussins, servait de pièce de réception. Ouverte tout à la fois sur la seconde cour et sur les jardins entourant la maison, elle offrait une vue aussi paisible que délicieuse. Entre les cyprès et les eucalyptus on pouvait admirer les formidables murs et colonnes de Suse-la-Citadelle. Sarah en était très fière et aimait y recevoir ses amies comme les épouses des clients importants.
— Allez, raconte-moi, raconte-moi tout ! Qu’a-t-il dit ? questionna-t-elle, la bouche gourmande, en s’allongeant sur les coussins.
Lilah songea que toute cette gaieté s’effacerait dans peu de temps. Mais elle évita de répondre directement à l’impatience de sa tante.
— Ezra et maître Baruch ont reçu de mauvaises nouvelles de Jérusalem, annonça-t-elle, comme si c’était là ce qu’on lui demandait. Le sage Néhémie est mort sans avoir pu accomplir sa mission. Le Temple est peut-être redressé, encore qu’Ezra en doute. Mais il est souillé de toutes sortes de mauvaises pratiques, et la ville elle-même vit de nouveau sans loi ni protection pour les Juifs.
Versant la tisane dans les gobelets d’argent, Sarah suspendit son geste. La surprise plissa son front.
— Oui, je sais. Mardochée nous a raconté cette histoire il y a quelques jours. C’est triste, il est vrai, admit-elle en reposant le pot de tisane. Mais, bon…
— Ezra était noir de fureur. Il considère qu’on nous a trompés, nous, les Juifs de l’exil. Et que nous nous sommes laissé abuser trop facilement, alors que les lois de Yhwh ne sont pas respectées et que les fils d’Israël sont en danger.
— Ezra est toujours noir de fureur et il nous croit toujours coupables de tout, soupira Sarah, agacée.
— Non, ma tante. Il pense seulement que nous ne prêtons pas assez d’attention à ce qu’il se passe à Jérusalem…
Sarah l’interrompit, agitant les mains comme pour repousser une fumée importune.
— Lilah ! Lilah, mon enfant ! Laisse ces histoires à Ezra et à Mardochée. Elles ne sont pas pour nous, les femmes. Moi, ce que je veux savoir, c’est ce qu’il a dit de ton mariage avec Antinoès.
Évitant son regard, Lilah suivit des yeux un vol d’hirondelles qui tournoyait au-dessus du jardin. Allait-elle, elle aussi, se mettre en colère aujourd’hui ?
Depuis qu’elle avait quitté la ville basse, elle redoutait cet instant. Elle devinait d’avance chacun des mots qui allaient être prononcés. Des plaintes et des reproches déjà tant de fois entendus, sans le moindre effet. Si Ezra se montrait souvent injuste envers son oncle Mardochée et sa tante, eux ne l’étaient pas moins envers lui, se refusant obstinément à juger son comportement avec un peu de bonne foi. Ne pouvaient-ils, au moins, respecter ses choix, admirer son courage ?
Si seulement ils faisaient l’effort d’un peu de compréhension au lieu de s’obstiner dans les reproches !
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