la Bible au Féminin 03 Lilah
Antinoès.
Dieu du ciel ! Comment prononcer les mots qu’elle s’était répétés la nuit durant ? Comment confier à Ezra ces phrases qu’elle avait consignées sur le rouleau de papyrus à présent dissimulé sous sa couche ?
Elle ferma les paupières. La prière, qu’elle avait su alors trouver, emplit à nouveau son esprit :
« Ô Yhwh, Dieu du ciel, Dieu de mon père, implora-t-elle, donne-moi la force de trouver les mots pour convaincre Ezra ! Donne-lui la force de les entendre. »
Ezra se méprit sur son silence et ses yeux clos.
— Lilah, ma sœur, ne sois pas triste, je mange, je mange ! Tu as eu raison d’insister, c’est très bon. Qui aurait dit que Sogdiam aurait du goût pour la cuisine ? Lui qui est arrivé ici comme un chien efflanqué ?
Lilah se reprit et lui sourit affectueusement.
— Il m’a raconté, pour ces femmes à qui tu donnes de la nourriture.
— Oh ! Oui. Il le fallait bien.
Ezra but à petites gorgées son gobelet de lait.
— C’est sans importance, reprit-il.
— Comment, sans importance ? s’offusqua Lilah. Bien sûr que c’est important ! Ces femmes sont dans le besoin. Qui peut, ici, dans la ville basse, les aider, sinon vous, maître Baruch et toi ?
Par-dessus son gobelet, Ezra jeta un regard à maître Baruch. Le vieil homme essuyait le fond de son écuelle avec un morceau de galette qu’il prit le temps d’avaler avant de relever ses yeux moqueurs.
— Les prochaines fois, insista Lilah, j’apporterai un peu plus afin que vous n’ayez pas à compter juste pour vos propres repas.
Maître Baruch laissa fuser son gloussement grinçant.
— Lilah, ma colombe, ce n’est pas Ezra qui aide ces pauvres femmes. Et moi moins encore, qui ne suis, comme tu viens de le constater, qu’un ventre. Il est écrit dans le rouleau des lois enseignées à Moïse : « Ne glanez pas les glanes de la moisson, laissez-les au pauvre et à l’immigré ! » Ce grain, est-ce nous qui le glanons et l’apportons ici ? Lilah, sans toi, ces femmes qui sont venues dans cette cour regarderaient aujourd’hui leurs enfants hurler de faim. Et nous, les sages de Sion, nous n’aurions qu’un ventre vide, aigri et vicié par les mauvaises nouvelles et les remords !
Rougissant d’embarras, Lilah se leva prestement pour desservir la table. Elle allait franchir le seuil de la pièce quand Ezra remarqua, comme s’il venait seulement d’en prendre conscience :
— Axatria n’est pas venue avec toi aujourd’hui ?
— Elle m’attend à l’entrée de Suse-la-Ville.
— Pourquoi ? Craint-elle de me voir ? s’étonna Ezra en riant.
— Oh, certes non ! Axatria ne rêve que de te voir.
Lilah eut une hésitation avant d’ajouter :
— C’est moi qui lui ai demandé de me laisser venir seule aujourd’hui.
— Pourquoi ?
Lilah hésita encore. Maître Baruch avait laissé rouler sa tête contre les coussins qui le soutenaient et semblait assoupi.
— Antinoès est de retour, annonça-t-elle d’une voix très basse.
L’expression d’Ezra ne changea pas. Il ne répondit pas.
Peut-être n’avait-il pas entendu ?
— Il est de retour, répéta Lilah. Nous nous sommes vus hier. Il s’est battu contre les Grecs de Cyrus le Jeune et a reçu la cuirasse des héros du Roi des rois.
Lilah se tut. Ses propres mots lui paraissaient incongrus et déplaisants. Elle voulait dire : « Je l’aime, je le veux pour époux. Et lui n’a pas d’autre volonté. J’aime être dans ses bras. Et je t’aime toi aussi de tout mon cœur de sœur. » Mais les mots qui sortaient de sa bouche étaient froids et craintifs, dénués de couleurs.
Et le visage d’Ezra restait de pierre.
Un instant, ils demeurèrent aussi silencieux et immobiles l’un que l’autre.
— C’est pour me dire cela que tu as empêché Axatria de venir avec toi ?
— Non, souffla Lilah, espérant que maître Baruch n’allait pas se réveiller. Ce n’est pas pour cela. C’est pour que nous parlions, toi et moi. Antinoès n’a pas changé d’avis. Il n’a pas changé du tout, en rien. Et moi non plus… quand je le revois.
Ezra se leva avec brusquerie et alla se rasseoir sur son tabouret d’étude.
— Tu as aimé Antinoès, Ezra. Nous…
— Tais-toi ! l’interrompit Ezra. Je n’étais qu’un enfant, un jeune homme ignorant. Aussi ignorant qu’on peut l’être dans la famille de notre oncle. Aussi ignorant que le sont devenus les fils d’Israël
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