la Bible au Féminin 03 Lilah
l’atelier. Ici non plus, rien n’avait changé.
— Pendant cette campagne, dit-il en passant la main sur le poli d’un timon, j’ai vu beaucoup de beaux endroits. On ne peut imaginer comme le monde est vaste et admirable. Mais cet atelier m’a toujours manqué.
Les yeux brillants d’émotion, Mardochée ne résista pas au plaisir de lui montrer quelques trouvailles nouvelles dont bénéficiaient ses derniers ouvrages.
Pendant ce temps, de grosses gouttes commencèrent à s’écraser dans la poussière de la rue. Bientôt, il plut à verse sur la ville. Quelques éclairs zébrèrent le ciel. Mardochée houspilla ses ouvriers pour que l’on mette les bois fragiles à l’abri. Antinoès fit garer son char dans l’atelier. Les soldats de l’escorte se réfugièrent dans une auberge voisine, où l’on servait des bols de lait fermenté et des pains fourrés aux herbes et aux abats d’agneau.
En un clin d’œil, la rue fut déserte, la foule disparue comme par enchantement. Mardochée, le front plissé, y jeta un regard durci par l’inquiétude.
— Pourvu que cette pluie ne dure pas…
Antinoès l’observa avec étonnement. Mardochée grimaça un sourire et l’entraîna à travers l’atelier.
— Je manque à tous mes devoirs. Viens te désaltérer dans la maison.
— Je devrais d’abord aller saluer tante Sarah… Et Lilah, si tu le veux bien.
— Plus tard, fit Mardochée. Pour l’heure, nous avons à parler.
Ils s’installèrent sur les longs coussins de la salle des repas. Alors que les servantes s’affairaient autour d’eux, Mardochée déclara sombrement :
— Lilah n’est pas à la maison.
Antinoès reposa son gobelet de bière de palme et chercha son regard. Mardochée soupira comme si une pierre pesait sur sa poitrine.
— Un échanson de la reine est venu la chercher.
— Parysatis ? Lilah est chez Parysatis ?
— Depuis ce matin.
— Qu’Ahura-Mazdâ la protège !
— Et notre Dieu Yhwh ! Oui, mon garçon.
Ils se turent un instant. La pluie tombait toujours aussi dru sur les dalles de la cour, emplissant l’air d’une odeur de poussière mouillée.
— J’espérais qu’elle serait de retour avant la nuit, reprit Mardochée à voix basse. Mais, avec cette pluie, l’échanson ne voudra pas se mouiller pour la raccompagner. La savoir si longtemps entre les mains de Parysatis me ronge les sangs. Si ce que l’on raconte sur la reine mère est vrai ?
— J’aurais dû m’en douter, déclara Antinoès sans répondre à la question angoissée de Mardochée. Dans peu de jours, je recevrai les armes des héros d’Artaxerxès le Nouveau. On me confiera un nouveau commandement. Cela a attiré l’attention de Parysatis sur moi d’autant plus sûrement que j’ai déposé au palais les tablettes annonçant mon mariage avec Lilah.
— Mais que te veut-elle ? Pourquoi convoquer Lilah devant elle ?
— Parysatis n’aime rien tant que faire et défaire les épousailles et les carrières des officiers fidèles à son fils aîné. Ainsi, elle peut s’assurer de tous les mouvements de notre Roi des rois.
— Seigneur tout-puissant !
— Cela est efficace, gronda Antinoès. Elle est aujourd’hui si puissante qu’Artaxerxès lui-même la craint. On dit que ses lions ont dévoré certains des généraux les plus aimés de notre roi car ils avaient combattu, glaive à glaive, Cyrus le Jeune.
— Mais Cyrus se dressait contre Artaxerxès le Nouveau ! s’indigna Mardochée. Il marchait sur Babylone et Suse et minait le royaume avec sa rébellion pour usurper la place de son frère !
— Cyrus était le fils préféré de Parysatis, cela seul compte. Artaxerxès n’a d’ailleurs pas même osé s’opposer à sa mère. Mais aujourd’hui Parysatis ne peut plus ourdir de révolte contre le Roi des rois. Elle se contente de manœuvrer nos vies, à nous, les officiers.
— Crois-tu que…
La voix de Mardochée se brisa. Il passa une main lasse sur son visage et reprit plus fermement :
— Crois-tu qu’il faut craindre pour Lilah ? Antinoès resta un instant sans répondre.
— On peut tout craindre d’une reine folle et puissante. Peut-être n’a-t-elle que le désir de la voir et de la convaincre de ne pas me prendre pour époux ? Ou peut-être veut-elle en faire sa servante ? Ou… Comment savoir ?
— Tu as des amis à la Citadelle, ils pourraient…
Antinoès l’interrompit d’un geste.
— Ce soir, on me refusera
Weitere Kostenlose Bücher