la Bible au Féminin 03 Lilah
d’or retenant sa cape. Un sourire éclatant brillait entre les fines tresses de sa barbe. Le sourire s’adressait à Sogdiam : l’officier ne le quittait pas des yeux.
Malgré son courage et sa fierté, Sogdiam recula dans la cour. Le guerrier le suivit, franchit le seuil et tendit la main. Chacun, dans la rue, voisins et enfants, entendit alors ces paroles incroyables :
— N’ai pas peur, Sogdiam. Je suis ton ami.
Sogdiam rougit, comme pris en faute, et jeta un regard anxieux vers la salle d’étude. Maître Baruch et Ezra ne s’étaient encore aperçus de rien.
Laissant les soldats, le char et la foule de curieux derrière lui, le guerrier referma la porte de la cour. Il ôta son casque. Sa chevelure huilée roula sur ses épaules. Sogdiam sentit le froid et le chaud s’emparer de sa poitrine. Il savait déjà qui était devant lui.
Celui qu’Ezra détestait. Celui que Lilah aimait.
Il vacilla légèrement sur ses jambes difformes. La colère, l’envie, le dépit et le plaisir menaient la sarabande dans son cœur. Le guerrier fronça les sourcils.
Son expression n’avait rien de menaçant, au contraire. Il prononça les mots que Sogdiam attendait :
— Je suis Antinoès et je viens voir Ezra.
*
* *
— Ezra étudie, rétorqua Sogdiam d’une voix qui lui parut faible et ridicule. Il étudie avec maître Baruch, on ne peut pas le déranger.
Antinoès l’observa avec surprise, mais sans cesser de sourire. Il tourna le visage vers la salle d’étude, et il vit que Sogdiam ne lui mentait pas.
Antinoès eut un hochement de tête, releva un pan de sa cape sur son épaule, s’apprêta à avancer vers la maison. Sogdiam songea à lui barrer le chemin, mais ses mauvaises jambes refusèrent de bouger. Pourtant, il n’avait pas peur. Antinoès lui aussi s’immobilisa.
Dans la salle d’étude, Ezra n’étudiait plus. Il fixait le guerrier de ses yeux de nuit. À côté de lui maître Baruch se taisait. Antinoès leva la main en guise de salut. Ezra se tourna brusquement sur son tabouret et, pour toute réponse, offrit son dos. Il déroula un rouleau sur la table et s’adressa à maître Baruch. Le vieux maître opina, et l’on entendit à nouveau le murmure assourdi de leurs voix.
— Tu vois, fit Sogdiam avec toute l’assurance dont il était capable, ils n’ont pas fini. Il faut attendre.
Comme s’il ne l’avait pas entendu, Antinoès demeura un instant face à la salle d’étude. Puis, à la surprise de Sogdiam, il éclata de rire.
Un rire sans ironie ni mauvaise humeur.
— Oui, il semble bien. Je vais attendre. Apporte-moi un gobelet d’eau, veux-tu ?
Sogdiam fila vers la cuisine avec soulagement. Quand il en ressortit, Antinoès se tenait droit au centre de la cour comme s’il était de garde sur un mur de citadelle. Le vent aigre du nord se levait et agitait sa cape. Les nuages roulaient, bas et sombres, diffusant une lumière tumultueuse sur l’acier de sa dague aussi bien que dans ses prunelles. Malgré cela, il ne montrait aucune impatience et adressa un geste amical à Sogdiam lorsque celui-ci lui tendit le gobelet.
La pensée de Lilah se blottissant entre les bras de cet homme était pour l’adolescent aussi douloureuse qu’une brûlure. C’était une raison de détester ce Perse. Ezra en était une autre. Pourtant, Sogdiam n’y parvenait pas. Il ne put s’empêcher de rougir de plaisir lorsque Antinoès lui rendit le gobelet en déclarant avec douceur :
— Lilah t’aime beaucoup, jeune Sogdiam. Elle me l’a dit. Elle m’a dit que tu étais un garçon différent des autres et d’un grand courage.
Sogdiam baissa le front, songea à ce qu’il pouvait répondre. Il n’en eut pas le temps : Antinoès s’avançait droit vers la salle d’étude. Parvenu sur le seuil, il s’inclina avec politesse :
— Pardonne-moi, maître Baruch, si j’interromps ton enseignement. Je suis venu parler avec mon frère Ezra, que je n’ai pas vu depuis longtemps.
Il y eut un drôle de silence. Maître Baruch leva le visage vers le Perse. Ses yeux brillaient de curiosité et il ne semblait aucunement offusqué. Ezra, cependant, se dressa, repoussant bruyamment son tabouret. Il s’approcha si près d’Antinoès que Sogdiam crut qu’ils allaient s’embrasser ou s’empoigner. Ses traits étaient de glace et sa voix fit baisser le front au jeune garçon.
— Tu me déranges dans mon étude, étranger. Tu interromps ma tâche avec la plus grande
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