la Bible au Féminin 03 Lilah
défaire d’un mot. Quant à Ezra…
Elle se tourna vers Antinoès et posa la main sur sa poitrine. Il eut le sentiment qu’elle s’appuyait sur lui pour trouver son équilibre. Il lui saisit le poignet et la retint.
— Antinoès le sait depuis le premier jour où nous nous aimons, reprit Lilah. Ezra devra approuver nos épousailles.
— Lilah ! s’écria Sarah en se redressant. Mardochée saisit Sarah par les épaules, la serra contre lui.
— Je dis ce qui est vrai, tante Sarah. À quoi ressembleraient nos noces si je ne devais plus jamais revoir Ezra ?
À nouveau ce fut le silence.
Antinoès, sans un mot, sans esquisser une caresse, s’écarta de Lilah. Un instant plus tard, son char quittait la maison de Mardochée. La pluie venait seulement de cesser et les soldats de l’escorte, le ventre lourd de bière, portant les torches, durent patauger dans la boue qui envahissait les rues.
*
* *
Au cours des jours suivants, chacun reprit son souffle. Tant de choses étaient advenues en si peu de temps que le cours ordinaire de la vie semblait s’être brisé sur les événements comme une barque sur des récifs.
Si nul n’oublia les épousailles de Lilah et d’Antinoès, il n’en fut plus question. À la vigoureuse demande de Mardochée, Sarah, au prix d’un effort qui ne lui était pas coutumier, parvint à tenir sa langue et plus encore ses regards.
Cependant, alors que le soleil d’automne revenait dans le ciel transparent de Suse, la pensée de la reine mère demeurait suspendue dans les esprits, menaçante telle une nuée de cendres. Elle réveillait Mardochée la nuit. Dans la journée, il lui arrivait soudain de suspendre son travail pour tendre l’oreille : il croyait entendre le char du troisième échanson.
Lilah, elle, s’éveillait avec le sourire de Parysatis devant les yeux. Dans ses rêves, les caresses ambiguës de la reine redevenaient réalité. Elle s’y voyait nue, offerte sur la plate-forme de la fosse aux lions. Et les lions possédaient le bizarre visage d’enfant vieilli de la reine.
Sa colère contre Antinoès, qui était stupidement allé se pavaner dans la ville basse en grande tenue de guerrier, s’était estompée. La tentation de courir se fondre dans ses bras, d’y retrouver la paix et la confiance était grande. À qui d’autre aurait-elle pu confier les résolutions nées durant son humiliante visite à Parysatis ?
Pourtant, elle résista. Une décision était en train de naître au plus profond de son cœur, par-delà l’amour et la tendresse. Une décision qu’elle allait partager avec son amant bien-aimé comme on partage le souffle du désir.
Mais il n’était pas encore temps.
D’ailleurs, Antinoès était fort occupé.
Chaque jour, il lui fallait se rendre à la Citadelle. Ainsi que tous les officiers de son rang, il devait apparaître dans la grande cour royale de l’Apadana, tandis que le Roi des rois prenait ses repas, seul ou goûtant l’agrément de quelques concubines.
Ensuite, selon son plaisir, Artaxerxès le Nouveau conviait les uns ou les autres à lui tenir compagnie à l’abri d’un paravent. Il questionnait ses généraux et ses héros, se faisant conter leurs batailles et les mœurs des pays qu’ils avaient traversés ou vaincus.
Ainsi, il s’écoula un quart de lune. Puis enfin, un matin, Axatria prépara le couffin de provisions à porter dans la ville basse.
Lilah, qui la vit faire, approuva d’un sourire.
C’était « le jour de son jour », comme l’appelait Sogdiam. Elle était prête à aller voir Ezra. Elle était enfin prête à lui dire ces mots qu’elle avait cent fois prononcés dans le silence de ses nuits.
*
* *
Lilah et Axatria tenaient chacune une lanière du couffin. Comme d’habitude, les enfants les accompagnaient de leurs cris. Cependant, elles eurent le temps de parvenir tout près de la maison d’Ezra avant que Sogdiam, sautillant sur ses jambes déformées, accourût à leur rencontre.
L’œil brillant de dépit autant que d’excitation, il expliqua sans reprendre son souffle qu’il savait bien que Lilah viendrait en ce jour et qu’il ne l’avait pas oubliée, loin de là.
— Mais alors que j’allais quitter la maison, Ezra a voulu que je prépare des tisanes et cuise des petits pains. Maître Baruch et lui ont un visiteur. Quelqu’un d’important !
Il attrapa l’anse de cuir du couffin que tenait Lilah pour en partager le poids avec
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