la Bible au Féminin 03 Lilah
en un endroit où l’on ne voyait plus que l’immensité du désert, ses gorges et ses crêtes de sable.
Soudain, Sogdiam disparaissait et d’abord je ne voyais rien d’autre que le désert. J’avais beau me tourner et me retourner, mes yeux ne se remplissaient que de pierres et de sable. Puis, très loin, apparaissaient quelques silhouettes. Et, l’instant suivant, ces silhouettes arpentaient des dunes proches. Il m’était impossible de distinguer les visages, mais je discernais fort bien les chevaux, les chameaux et les armes accrochées aux selles. J’avais peur qu’il s’agît des bandits tant redoutés. Je courais vers la caravane me réfugier sous ma tente. À ma propre surprise, je ne prévenais personne du danger, et surtout pas Ezra. Je m’endormais comme je m’endormais dans la réalité : en murmurant le nom d’Antinoès.
Après un très court somme, une main sur ma bouche me réveillait brutalement. Pas un instant, pourtant, je n’avais peur. Je reconnaissais sur-le-champ la douceur de la peau comme l’odeur de mon époux.
Ensuite, tu me portais jusqu’à ta monture. À une vitesse stupéfiante nous filions vers Jérusalem. Nous étions surpris d’y découvrir une ville paisible, sans rien des horreurs qu’on nous avait décrites. Si bien que nous pouvions nous y installer et tu m’offrais les cadeaux des épousailles au cours d’un grand banquet. Nous étions, en public, mari et femme, et cela convenait parfaitement, car la ville était ainsi, heureuse de l’amour qui vivait entre ses murs. Ezra, lorsqu’il arrivait, n’avait qu’à reprendre son étude.
Je me réveillai de ce rêve partagée entre le bonheur de l’avoir vécu et l’amertume de la réalité qui m’entourait. Mais comme il se répéta de très nombreuses nuits, un jour je décidai de m’écarter de notre colonne au crépuscule. Comme dans le rêve je marchais assez loin pour ne rien voir d’autre que le désert.
Et, là, on aurait pu me voir, stupide, attendre jusque très tard dans la nuit de te voir apparaître.
Mon retour fut toute une affaire pour Sogdiam et Axatria, car ils m’avaient crue perdue et incapable de revenir à la caravane dans l’obscurité. C’était improbable : on ne pouvait manquer le millier de feux qui trouaient la nuit. Mon rêve, la nuit suivante et toutes les autres nuits depuis, n’est jamais revenu.
*
**
Cependant, plus nous avancions et plus je sentais renaître en moi un peu de paix, j’éprouvais même un certain plaisir à notre entreprise. Il faut dire que nous formions un spectacle prodigieux.
Mon Antinoès, toi qui connais les grandes cohortes militaires, peut-être peux-tu imaginer ce qu’a été notre fleuve d’hommes et de femmes !
Le seul roulement des essieux et des roues produisait un vacarme retentissant qui montait avec la poussière que nous soulevions en nuée. Il n’y avait pas un instant de silence. Toujours des cris, des appels, des pleurs, les braiments des mules ou les bougonnements des chameaux. Même la nuit. La nuit, justement, le camp semblait être une rivière de feu tant il y avait de foyers allumés. Parfois, j’imaginais que nous étions comme la réplique du fleuve d’étoiles qui court de part en part dans le ciel et qu’à Suse on appelle encore le chemin de Gilgamesh, comme dans l’ancien temps.
Certains ont assuré qu’il fallait marcher du crépuscule jusqu’à l’aube pour aller de la tête à la fin de notre colonne tandis qu’elle était au repos !
Et, bien sûr, elle frémissait de drames et de rires. Des dizaines de chars se sont retournés, des centaines d’hommes ou d’animaux ont été blessés. Il y a eu des disputes, des amours, secrètes ou pas, des épousailles, des naissances et des morts. Et par deux fois des meurtres, quelques vols, aussi, qu’Ezra dut juger à la manière de Moïse, une fois de plus.
Une nuit, Sogdiam m’a sauvé la vie en surprenant un serpent qui glissait en silence à deux pas de ma couche. Malgré ses jambes qui ne le rendent pas le plus agile des hommes, il est parvenu à le faire fuir avant de l’occire avec son tranchoir de cuisine. Ces serpents furent notre plus grande peur. Petits mais extrêmement venimeux, avides du lait que nous pouvions avoir dans nos cruches, ils ont tué plus d’une centaine de femmes et d’enfants pendant les deux mois de notre voyage.
Mon plus beau souvenir est ce que j’ai appris pendant ces jours. Le plus merveilleux des
Weitere Kostenlose Bücher