la Bible au Féminin 03 Lilah

tamaris et un néflier dépassaient des murs, dont le crénelage s’était effondré. Par endroits, on devinait des traces de combats. Des pierres sculptées, des colonnes avaient été brisées à coup de masse. Une herbe drue poussait entre les dalles de marbre et descellait les marches du sanctuaire. Le mur de droite était béant, comme si un monstre l’avait traversé. Quant à la grande cour qui traçait l’enceinte du Temple, les parois n’en étaient plus qu’esquissées et les dalles en disparaissaient sous les immondices.
    La nuit suivante ne fut égayée ni de chants ni de danses. Les cris d’Ezra, des lévites et des jeunes dévots emplirent l’obscurité. Ils déchirèrent leurs tuniques, se couvrirent la tête de cendre et prièrent jusqu’à l’aube.
    Notre troupe s’en trouva aussi hagarde et désemparée que les habitants de Jérusalem. Quelques vieux se regroupèrent autour d’Ezra pour unir dans une belle ferveur leurs lamentations aux siennes.
    Puis, après les pleurs, la rage et l’abattement, il fallut prendre des décisions.
    Ezra avait le désir d’entreprendre sur-le-champ la purification du Temple. Nombreux parmi les prêtres et les lévites, Shérévyah, Hashabaya et leurs frères partageaient son avis.
    C’est alors que Yahezya a parlé pour la première fois. Il vivait depuis toujours à Jérusalem. Fin et doux de silhouette comme de visage, il nous avait accueillis avec une gentillesse sans réserve. Alors qu’Ezra et les siens débattaient, à sa manière polie, il fit remarquer :
    — Je comprends ton impatience, Ezra. Tu es venu pour redresser le Temple. Tu le trouves dans cet état épouvantable et rien ne te paraît plus urgent. Mais regarde autour de toi. Vous êtes des milliers et des milliers, ici, aux portes de Jérusalem. Vous ne savez où monter vos tentes. Sans doute un grand nombre d’entre vous devront aller s’établir dans la vallée qui conduit à Hébron. Cependant, là-bas, la terre est disputée. Crois-tu que les Moabites, les Horonites, que Guersheme et Toviyyah, tous ceux qui sont roi, chef, petits ou grands, autour de Jérusalem, ne s’inquiéteront pas de votre présence ? N’oublie pas, Ezra, que c’est par leurs mains, leur force et leur méchanceté que Jérusalem est devenue cette ruine qui te fait gémir. À cause d’eux, chaque fois qu’une pierre est dressée, elle est abattue aussitôt. Néhémie a souffert par eux. Il les a affrontés. Néhémie est mort. Eux ou leurs fils sont toujours là. Crois-tu qu’ils vous laisseront en paix sous vos tentes alors qu’il sera si facile de vous faire souffrir ?
    Les yeux de Yahezya, d’un vert un peu gris, se posaient sur nos visages avec la même modération que sa voix. Malgré la gravité de ses paroles, ses lèvres demeuraient douces et sa voix conservait toute sa patience.
    — Peut-être serait-il plus sage de vous bâtir des toits solides, suggéra-t-il. Il ne faudra pas trop de temps, avec le nombre que vous êtes, pour remonter les maisons les moins abîmées. Vous avez des épouses, des mères et des enfants à abriter. Le Temple est impur, mais il l’est depuis longtemps. Yhwh n’a pas d’autre impatience que ta réussite, Ezra. Si Toviyyah vient porter le fer et le sang dans tes tentes, tu n’en seras que plus ralenti.
    L’un des jeunes dévots qui suivaient Ezra ricana avec aigreur :
    — On voit, Yahezya, que tu vis depuis longtemps dans Jérusalem ! On comprend, à t’écouter, pourquoi le Temple de Yhwh est une immondice. Qui es-tu, pour savoir qu’elle est l’impatience de l’Éternel ? Il nous a conduits ici en tenant Sa main fermement sur Ezra. De quoi es-tu effrayé ? C’est ton Toviyyah qui devrait avoir peur, maintenant que nous sommes là par la force et la volonté de Yhwh !
    Bien des têtes opinèrent. Je savais que Yahezya venait de dire le vrai, mais je n’ai pas protesté. N’avais-je pas fait beaucoup pour que chacun pense ainsi ? N’avais-je pas répété à satiété qu’il ne fallait rien craindre mais, au contraire, faire confiance en toute chose à la protection de Yhwh ?
    Je me suis tue et Ezra, depuis longtemps, depuis bien avant notre arrivée à Jérusalem, ne se souciait plus de m’écouter. Il me voulait seulement près de lui. La sagesse, en ces jours, n’était pas son affaire. Ni celle de ceux qui se pressaient autour de lui, les louanges à la bouche.
    Si le conciliabule fut encore long, la décision ne fut pas une