la Bible au Féminin 03 Lilah
savoirs : celui d’aider celle qui donne la vie. J’ai appris à soutenir et à rythmer le souffle de celle qui enfante, à accueillir la tête du nouveau-né, parfois ses membres. Je sais le tirer vers la lumière en lui offrant sa première respiration. Et faire en sorte que cette respiration de bienvenue soit douce.
Oui, cela, ce fut la beauté de ces jours.
Puis, une après-midi, nous avons passé le Jourdain et le lendemain nous étions devant les collines de pierres blanches qui entourent Jérusalem.
*
* *
L’obscurité est venue et j’ai dû interrompre cette lettre. Nous avons trop peu de chandelles et d’huile de lampe. Inutile que je les consomme pour rédiger dans le noir une missive que je ne saurais où adresser.
La nuit a été plus paisible que bien d’autres, sans attaque, sans cris ni blessés. Chacun a pu prendre un peu de repos. Nous entamons une nouvelle journée avec davantage de force. Il est étrange de s’étonner chaque matin du retour du soleil et de se demander s’il sera possible de voir le crépuscule.
C’en est fini de la belle, de l’élégante Lilah. Ma tunique n’est qu’une longue bande de lin trop souvent lavée et trop souvent portée. Mon châle est encore ce qui me reste de plus seyant, bien que les couleurs en soient si passées qu’on ne les différencie plus guère. Mes mains ont charrié tant de sacs, de pierres, de fagots de bois, mes paumes se sont déchirées à tant d’épines qu’elles ressemblent à celles des ouvriers dans l’atelier de l’oncle Mardochée.
Et mon visage !
Nous n’avons pas de miroir mais, quand il m’arrive d’apercevoir mon reflet dans l’eau d’un seau, je me fais peur. Il ne me reste presque plus rien de la beauté de Lilah qui impressionnait Parysatis et attisait sa jalousie.
Aujourd’hui, la reine ne lèverait pas même les yeux sur moi.
Toi non plus, sans doute.
Ma peau est sèche et tannée. Chaque jour des rides longues et nettes creusent mon front plus profondément. Aux plis de mes yeux et aux commissures de mes lèvres, elles sont fines et serrées. Elles font songer aux craquelures de poteries vernissées que l’on a rudement menées. Elles me font un visage vieilli de dix ans.
Soleil de feu, vent, pluie, canicule, grêle et gel, voilà ce qu’ont été mes pommades pour obtenir ce bel effet. Et des grimaces en guise de sourires.
La plante de mes pieds s’est couverte de corne avec l’usage des sandales de corde. Et j’en suis bien heureuse. Sans elles, il me faudrait aller pieds nus, comme beaucoup, sur les cailloux tranchants et brûlants.
Il y une semaine, pour la première fois, j’ai perdu une dent. Je peux encore le cacher, car son vide est à l’arrière de la mâchoire. Et j’ose l’écrire ici, en me moquant de moi, car il y a peu de chance que tu lises ces horreurs.
J’y ai songé longuement cette nuit, en attendant le sommeil. Il est bien peu de moyens de te faire parvenir cette lettre.
Peut-être parviendrais-je à convaincre Sogdiam de me quitter et de reprendre le chemin de Suse ? Et encore… Malgré son courage, ce serait un voyage bien long et bien périlleux pour un infirme comme lui.
Quoiqu’il n’y ait guère moins de périls à demeurer ici, à se ruiner le corps et le cœur.
Oui, le cœur. Car parmi toutes les injustices qui pavent nos journées, rien ne peut-être plus injuste que de s’enlaidir le corps autant que l’esprit, dans ce pays qui est si beau. Dans ce miel et ce lait que l’Éternel a confiés à Abraham et Jacob, à Moïse et Josué, à Sarah et Léa et Rachel et Hanna et à tous et à toutes qui nous ont précédés !
Car je te l’assure, Antinoès, quand, pour la première fois, mes yeux ont vu Jérusalem, j’ai vu le pays de lait et de miel. Ce pays bon et vaste, inépuisable de douceurs et de richesses, dont on nous a si souvent enchanté l’imagination durant notre enfance de Juifs de Babylone, de l’exil et du lointain.
C’était la fin du printemps. Tout ce qui était arbre à fruits – cerisiers, pêchers, pruniers –, toute la vie de la terre était en fleur. Les oliviers recouvraient d’une ondulation grise et soyeuse les flancs des collines. Des falaises de roches très pâles se dressaient sur les crêtes telles des mains alanguies. De grands cèdres et des yeuses sans âge offraient des ombres gigantesques aux troupeaux. Les agneaux bondissaient entre les buissons de sauge, de thym et de myrte, soulevant
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