la Bible au Féminin 03 Lilah
Mais les sages de jadis avaient eu, eux-mêmes, des avis opposés… Alors, les épuisants débats recommençaient, plus compliqués qu’avant.
Nul n’était plus en mesure d’imposer des décisions qui conduiraient et régleraient notre existence. Et, en ce jour de deuil, il y avait une seule chose dont je pouvais être certaine : nous étions venus à Jérusalem avec le désir de lumière et voilà que nous avancions dans l’obscurité. Nos ténèbres iraient croissantes tant qu’Ezra ne retrouverait pas la puissance de son esprit et ne serait pas en état de décider en toute quiétude.
J’ordonnai à Axatria et à Sogdiam de verrouiller la porte de notre maison, de préparer des tisanes et de la nourriture.
Il me fallut déployer beaucoup d’efforts pour qu’Ezra acceptât de se nourrir. Les tisanes d’Axatria firent merveille. Il s’endormit d’un sommeil qui dura deux jours.
Tout le temps de son repos, je dus me défendre contre la fureur des dévots et des prêtres. Ils ne supportaient pas que je soustraie Ezra à leurs soins. Ils crièrent et ameutèrent tous ceux qui leur prêtaient une oreille complaisante.
Les prêtres voulaient prier sans discontinuer dans le Temple purifié. Pour une raison obscure, ils ne le pouvaient sans Ezra. Les lévites voulaient que mon frère nommât leurs tâches et, selon la Loi et les écrits de David, désignât leurs places et leurs rangs. Notre maison fut cernée, ce qui, par chance, ne réveilla pas Ezra.
Comme je ne cédais pas, ils en conclurent que je menais des œuvres malsaines contre eux. Je laissai dire. Mais les esprits étaient chauffés à blanc. La crainte du retour des guerriers de Guersheme attisait la colère.
Et moi je leur disais :
— Attendez seulement demain. Accordez-lui un peu de repos ! Vous le tuez à la tâche. Où irez-vous, derrière son cadavre ? Ne pouvez-vous comprendre la patience de Yhwh ?
Mes mots soulevaient les protestations comme le vent tire des flammèches d’un feu.
— De quoi te mêles-tu, fille ? me répliquait-on. Ezra devrait être dans le Temple pour apaiser la colère de Yhwh et toi tu te mets en travers ? De quel droit ? Ce n’est pas notre exigence qui épuise Ezra, c’est la sottise de ceux qui te ressemblent et sont incapables d’entendre la colère de Yhwh. N’as-tu pas conscience que tu fais le jeu de Toviyyah, de Guersheme ? Tu fais le lit de tous ceux qui bavent de haine contre Israël ! Tu vas faire périr Ezra, et nous avec !
La violence montait vite avec les mots. Sogdiam était impuissant à me protéger. Ceux qu’il avait nourris avec dévouement durant des semaines le traitaient aujourd’hui de bancal, de vaurien, de nohkhri, « d’étranger », en le bousculant. Il fallut que Yahezya et quelques-uns de ses amis viennent se placer devant ma porte avec leurs armes pour qu’on nous laissât en paix une nuit de plus.
Mais enfin, après un bon repas, après qu’Axatria eut enduit son corps pitoyable de pommades et d’huiles, après qu’elle eut prodigué des massages à ses épaules rompues, Ezra apparut en meilleur état.
Pourtant, quand je lui racontais en riant comment nous avions dû défendre son repos bec et ongles, et sous les insultes, il ne s’en amusa pas.
D’abord, il voulut se précipiter, comme s’il était en faute. Je le retins : cela pouvait attendre encore un peu. Je le suppliai de réfléchir en paix avant d’être happé par le tourbillon des cris et des désirs incompatibles. Il céda avec un soupir, découragé.
— Ils ont raison d’être en colère. Lilah, quelque chose ne va pas dans ma manière de conduire les choses. Voilà le Temple à peine purifié et nos maisons sont déjà détruites ! Nous sommes à peine à Jérusalem, et voilà déjà que cela recommence comme au temps de Néhémie ! Demain, nous remonterons les maisons abattues hier, mais, la nuit suivante, Guersheme ou les Horonites attaqueront le Temple. Ou ruineront les remparts, détruiront nos récoltes dans les champs… Ils s’en prendront à n’importe quoi, pourvu que ce soit une part de nous. Toujours et encore ! C’est sans fin, car Yhwh n’est pas avec nous. Je l’ai cru, pourtant, mais Il n’est pas avec nous ! L’Alliance est toujours rompue, et voilà quelles en sont les conséquences.
En parlant, il pétrissait l’étui de cuir noué à son cou. Ses yeux cherchaient dans les miens une consolation, une confiance que j’étais incapable de lui
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