la Bible au Féminin 03 Lilah
nuits nous chantâmes à pleine voix, les larmes ruisselant sur les joues des plus endurcis. Les rues vibrèrent du son des lyres, des cithares et des cymbales.
Il y eut un formidable holocauste, semblable à celui qui avait précédé notre départ de Babylone. La fumée monta et recouvrit les toits tout neufs de Jérusalem.
Le feu était encore si intense dans la nuit que nous ne comprîmes pas immédiatement ce qui se passait lorsque d’autres cris et d’autres flammes jaillirent à l’autre bout de la ville.
Dehors, devant les murailles, une troupe de Guersheme galopait en hurlant. Ils étaient cinq ou six cents et formaient un serpent de feu dans les champs et les collines. Soudain, ils lancèrent une pluie de flèches enflammées dans le ciel.
Ce fut d’abord étrangement beau. Cela ressemblait à un ciel d’étoiles mouvantes. Mais l’orbe qu’elles traçaient retomba sur le chaume de nos toits.
D’autres flammes montèrent. D’autres cris, d’autres hurlements retentirent.
Au matin, plus de la moitié des maisons qui venaient d’être rétablies étaient en cendres.
*
* *
Yahezya avait raison.
Du sang, du feu, des larmes. Voici ce qu’est Jérusalem pour nous.
Les larmes, Ezra en mouillait ma tunique. Des larmes, des cris, de la fureur, il en avait trop pour les montrer en public. Après le désastre de la nuit, il accourut vers moi comme un enfant perdu.
Moi, je fus sidérée par le corps que j’enlaçais. Ezra était devenu si frêle que j’aurais pu le soulever. Croyait-il que seul son esprit, seul son amour fiévreux pour Yhwh pouvaient le faire vivre ?
Peut-être.
Mais il était également en colère contre son esprit et même, sans oser l’avouer, contre Yhwh. Il se frappait le front avec l’étui de cuir du rouleau de Moïse. Il demandait à en perdre le souffle :
— Lilah, pourquoi Yhwh nous inflige-t-Il ce malheur ? Où est notre faute ? Le Temple n’est-il pas purifié ? Ne respectons-nous pas chaque règle, pas à pas ? Pourquoi nous laisse-t-Il dans une pareille impuissance ? Lilah, quelle est notre faute ?
Comment aurais-je pu répondre ? La ville entière pleurait, tout comme lui, sans comprendre. Les uns éteignaient les incendies, les autres soignaient les blessés. Partout, on se lamentait sur les morts.
Moi, je n’avais pas le goût de trouver une explication.
Si chacun se demandait quelle faute nous avions commise, moi, je commençais à craindre de m’être trompée en poussant Ezra sur le chemin de la Judée. Je songeais que, si l’un ou l’une d’entre nous devait, en ce jour, plier les genoux sous le poids de la responsabilité, je serais celle-ci.
Je repoussais cependant cette pensée terrible.
Comme chacun ici, je voulais puiser ma résistance dans la colère. Je voulais encore trouver en Ezra la force, la justice qui nous faisaient défaut afin que Yhwh pût enfin nous récompenser.
Alors, il ne me restait plus qu’à soutenir Ezra de mon mieux.
Il était épuisé par les jeûnes répétés. Ses mains n’étaient que plaies et sang d’avoir tiré et charrié des pierres sans répit. Des échardes de bois, mêlées à la cendre dont il s’était recouvert, infectaient sa chair. Ses épaules étaient parsemées de bubons purulents. Ses pieds étaient en charpie.
Cependant, les plaies de son corps n’étaient rien comparées au désordre de son esprit. La tension endurée durant la purification du Temple avait été terrible. Les prêtres nouveaux, ceux qui étaient venus avec nous, les lévites et les dévots, tous cherchaient à capter sa volonté et à influencer ses décisions. Tous possédaient des opinions solides, mais divergentes. Chacun pouvait argumenter du crépuscule à l’aube, vous jetant dans un labyrinthe de mots dont on ne savait plus, après les avoir écoutés, ce qu’ils signifiaient.
Tous se voulaient savants et plus malins que les autres. Ils citaient sans cesse les leçons des Patriarches ou des Prophètes. Quelque temps avant la purification du Temple, les prêtres anciens, demeurés à Jérusalem après la mort de Néhémie, avaient dévoilé avec réticence et fierté une cave, bien dissimulée à l’autre bout de la ville.
Ils y avaient, en dépit de tous les pillages, conservé des centaines de rouleaux de papyrus et même quelques tablettes d’époques depuis longtemps révolues. Selon eux, aucune décision ne pouvait se prendre sans se plonger dans les avis des sages d’autrefois.
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