La bonne guerre
informatrice pour pénétrer la police parisienne. Sous l’Occupation, de 42
à 44, ce type avait travaillé avec Barbie.
Je l’ai installé dans une agréable maison d’Augsbourg, réquisitionnée
par l’armée américaine avec meubles, femme de ménage et tout. Barbie m’a
présenté un type qui était prétendument professeur d’anthropologie, un certain
Zarpf. Il m’a dit qu’il était membre du Ost Institut. Ils avaient pour mission
de trouver le moyen, après l’invasion de l’Union soviétique, d’exterminer tous
les habitants, 189 millions, ou le nombre qu’ils seraient à ce moment-là. Un
comité siégeait à Königsberg, en Prusse-Orientale, une trentaine d’Allemands de
premier plan, des avocats, des professeurs, des juges, des officiers SS dont le
boulot était d’imaginer le moyen de se débarrasser des Russes une fois que les
Allemands les auraient vaincus. Je me suis vraiment demandé à qui ce type
pourrait bien être utile. En plus, je n’avais pas du tout envie de lui parler.
On m’a dit d’utiliser Barbie comme informateur. J’ai dit à
mon supérieur : « J’espère que vous savez ce que vous faites, les
gars. » C’était d’accord, j’allais travailler avec lui, mais normalement
un type comme ça je devrais l’arrêter.
J’ai installé un bureau en ville et engagé un secrétaire
pour Barbie, et je lui ai dit : « Maintenant, je veux que vous me
produisiez au moins deux ou trois pages par jour. » Il prétendait avoir
une centaine d’informateurs en place. À la fin du mois mon patron m’a donné une
enveloppe pleine d’argent à lui remettre. Je l’ai ouverte, elle contenait mille
sept cents bons dollars américains. Je me suis dit : « C’est pas possible
qu’on le paie pour ça en plus ! Pour le prix, il peut en raconter ! »
Un jour je l’ai vu recopier une dépêche d’agence yougoslave.
Je lui ai dit : « Écoutez, Barbie, ça je peux le lire tout seul. Ce
que je veux c’est du solide. » La seule chose d’importance qu’il nous ait
jamais communiquée c’est que les Russes extrayaient de l’uranium le long de la
frontière tchécoslovaque en Allemagne de l’Est.
Pendant que je travaillais avec lui, j’ai appris de son ami
Merk que ce type était un vrai criminel de guerre. Quand Merk sentait qu’il ne
recevait pas son dû, il m’appelait dès le lendemain : « Si vous
saviez ce qu’a fait Barbie en France sous l’Occupation, vous l’arrêteriez. Une
fois ce type a tué deux cents Français de sa propre main. En les pendant par
les pouces dans les caves de son quartier général. » C’est lui qui avait
arrêté le célèbre héros de la Résistance Jean Moulin. Moulin a été torturé à
mort. Le boulot de Barbie consistait à briser les résistants et à obtenir des
renseignements. Sa tâche principale était de pénétrer la Résistance. Merk m’a
dit qu’il était responsable de la mort d’au moins quatre mille Français pendant
l’occupation. À l’époque nous ne savions pas encore qu’il avait déporté des Juifs.
Nous le gardions sous notre protection.
Je suis allé le signaler au quartier général : « Vous
savez que vous avez affaire à un vrai criminel de guerre ? » On m’a
répondu : « Oui, on est au courant de tout. Mais il nous est encore
utile. En temps voulu nous le remettrons aux Français. »
Comment les Américains ont-ils pu aider ce type à s’enfuir ?
Cela dépasse mon entendement ! Pendant toutes les années de son exil, plus
tard en Bolivie, à chaque fois que je rencontrais un diplomate français je lui
en faisais part. Nous avions des réceptions à l’université avec le consul
général de France. Je lui disais : « Barbie vit en Bolivie. Vous ne
pensez pas que vous devriez l’arrêter ? » Il me répondait :
« Vous savez, il est inaccessible. Nous ne pouvons rien faire. » C’était
stupide. Ils auraient pu obtenir son extradition n’importe quand. Un soir j’ai
vu Barbie aux informations de la NBC à la télévision. J’ai dit à ma femme :
« Regarde, c’est le type avec qui j’ai travaillé pendant huit mois. »
Je l’ai signalé le jour même, il a d’ailleurs été extradé vers la France. J’espère
qu’ils feront ce qu’il faut.
Je n’ai jamais su que c’était lui le boucher de Lyon. Je
savais qu’il avait été suffisamment haut placé dans le SD pour être arrêté. Nous
utilisions ces types-là pour obtenir des renseignements. Nous
Weitere Kostenlose Bücher