La bonne guerre
donné des tas de
passeports.
Qui ça « on » ?
Les services secrets américains. Après avoir travaillé avec
lui. Il en savait beaucoup trop sur le fonctionnement des services secrets
américains pour qu’on puisse le livrer aux Français. Ils auraient alors su
comment on opérait. Pour moi, ça n’avait pas de sens. On était censés être
alliés, non ?
Barbie a obtenu des sauf-conduits américains, s’est rendu à
Gênes où il est allé trouver le consul de Bolivie qui lui a remis un permis de
séjour. Il a pris un billet sur un bateau argentin, avec sa femme et ses deux
enfants. D’Argentine il est allé en Bolivie. Il y a vécu vingt-sept ans.
Ce type était millionnaire là-bas. Vous savez comment on a
découvert sa présence ? Il a, semble-t-il, escroqué le gouvernement de dix
mille dollars américains. Un gouvernement civil a remplacé la junte militaire. Et
il s’est fait mettre en prison. Son avocat a remboursé la somme le lendemain
même. Mais ce nouveau gouvernement pensait que c’était encore un homme trop
dangereux, alors ils l’ont extradé vers la France. Ça faisait dix ans que la
France demandait son extradition. L’essentiel du mérite est à attribuer aux
Klarsfeld, un couple de Paris. Depuis 72 ils essayaient d’obtenir de la Bolivie
qu’elle chasse Barbie de son territoire. Il se faisait appeler Klaus Altman, mais
tout le monde savait que c’était Barbie.
Maintenant les Français ont un sacré boulot. Ils doivent
faire ça dans les règles. Mais si ça se trouve, certains de ses anciens
collaborateurs sont bien placés en France et les déclarations de Barbie
pourraient bien les mettre dans une sale position. Si les Français ne font pas
ce qu’il faut ça va leur retomber dessus.
Nos archives doivent crouler sous les interrogatoires de
Barbie. Où peuvent-ils bien être ? Pourquoi est-ce qu’on ne peut rien dire ?
Tout ça c’est le grand mystère. Le type qui a fait appel à ses services doit se
dire : « Quelle connerie j’ai faite de lui donner 1 700 dollars ! »
Barbie aurait fait la même chose pour rien, parce qu’il savait qu’on pouvait le
livrer aux Français. Voilà les erreurs qu’ont commises nos services de
renseignements.
C’est peut-être une forme de politique. Je répugne à
admettre que mon gouvernement puisse se livrer à ce type de politique. Je sais
que nous surveillions les Russes. Et je comprends pourquoi. Il fallait
absolument savoir ce qu’ils préparaient.
À la fin de la guerre les Allemands nous ont dit :
« Donnez-nous des armes, et on va à Moscou. De toute façon, un de ces
jours, il faudra que vous y alliez. » Maintenant ils viennent nous dire :
« Vous voyez, on vous l’avait bien dit. Si vous nous aviez laissé y aller
à ce moment-là, il n’y aurait pas eu de guerre froide, et tout ce qui s’en est
suivi. » Même le général Patton voulait qu’on y aille.
Nos GI sautaient de joie quand ils entendaient que les
Russes avançaient, parce que les Russes avaient encore tué un paquet d’Allemands
et ils savaient qu’ils leur devaient une fière chandelle. Ils y avaient d’ailleurs
laissé vingt-cinq millions de morts. Et après ça on n’allait pas leur dire de
retourner leurs armes contre ces types qui étaient leurs alliés. Tous les jours,
dans Stars & Stripes, ils suivaient la progression des Russes contre
les nazis. Et le lendemain on allait leur dire de leur tirer dessus ? C’est
ce que voulaient certains des chefs.
À Stuttgart j’ai rencontré deux types qui venaient de la 1 re division d’infanterie, celle avec laquelle j’étais durant la guerre. J’avais
demandé un poste dans les services secrets. Nous étions en manœuvres à Grafenwöhr,
un trou perdu dans le centre de l’Allemagne. Au lieu d’appeler l’ennemi l’armée
rouge ou l’armée bleue comme nous le faisions en Louisiane ou au Texas, nous
les appelions les agresseurs russes. Ça m’a terriblement choqué. Tout d’un coup,
quatre ans après la guerre, nous les avions désignés comme nos futurs ennemis. De
nos jours ce sont les seuls dont nous nous inquiétons. Au départ, ça a un peu
étonné les GI. Mais si c’est ce qu’on doit faire, alors on le fait.
Je suis rentré aux États-Unis en janvier 50. En plein
maccarthysme. On voyait des rouges cachés partout. Même dans l’armée. Quelqu’un
avait décrété que nous ne pouvions plus faire confiance aux Russes qui avaient
été nos alliés pendant la
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