La bonne guerre
port de Boston. Il
y avait alors environ une vingtaine de personnages de ce genre. Je me souviens
de les avoir accompagnés aux services religieux catholiques ou protestants, le
dimanche matin, et d’avoir traduit les sermons. Je me suis dit qu’ils
pourraient faire des choses bien pires que de prier. C’était sans doute ce qu’ils
faisaient de plus respectable.
Nous commencions juste à découvrir que se mettait sur pied
un plan consistant à les faire travailler à White Sands dans le Nouveau-Mexique.
C’était un des centres d’essais d’armement lourd – y compris du type de
matériel qui a amené le premier homme sur la Lune. C’est devenu une des plus
grandes stations expérimentales de technologie militaire de pointe de notre
époque. Une affaire que je n’ai pas suivie.
Il y avait un bâtiment, à la boîte postale 1142, dont l’accès
nous était interdit. Vous aviez besoin d’une autorisation spéciale. Mais les
êtres humains parlent… Là-dedans, ils travaillaient uniquement sur des
documents soviétiques. Les cartes du théâtre des opérations en Europe. C’étaient
des généraux allemands qu’ils interrogeaient. Et on interrogeait les savants de
Peenemünde pour savoir si ceux de leurs collègues qui n’étaient pas là étaient
passés à l’Est. On était vraiment en pleine bagarre. C’était fin 45. La guerre
était à peine terminée.
Quand quelqu’un me demande quand la guerre froide a débuté
et me parle de Truman et de 1947, je lui dis que j’étais « présent à la
création. » Je reprends le titre des Mémoires de Dean Acheson, Present
at the Création. J’y étais. (Il rit.)
Vos supérieurs ne vous surveillaient-ils pas d’une
manière ou d’une autre ? Après tout…
C’est certain. Je m’y étais habitué. Pour moi, ça avait
commencé à Fort Knox, à Louisville. J’étais le seul Juif de l’unité. J’ai d’ailleurs
fait l’expérience d’une forme d’antisémitisme à laquelle je n’étais pas préparé.
Je me suis même fait casser deux dents. Je préfère parler d’antijudaïsme. C’est
plutôt une tradition ancestrale de haine des Juifs faisant partie intégrante d’une
certaine forme de christianisme, à laquelle les Juifs sont habitués. Ça ne veut
pas dire que vous allez vous retrouver dans la chambre à gaz. Mais à l’époque, toute
forme d’antisémitisme avait de fortes chances de me hérisser.
Non seulement je venais du Nord, mais en plus ils me
considéraient comme l’intello de service. On m’avait surnommé, d’abord
méchamment, puis ensuite gentiment, « le connard d’intello » de l’unité.
Quand j’étais convoqué au bureau du commandant de la compagnie on entendait
dans tous les haut parleurs de la base : « Est-ce que le connard d’intello
peut se présenter au commandant de la compagnie ? »
Dans notre caserne nous avions une heure quotidienne d’information,
au cours de laquelle étaient lues les nouvelles du jour. C’était à moi qu’était
confiée cette tâche. Un jour, alors que je venais de terminer, un type m’a dit :
« Tiens, est-ce que tu pourrais également nous lire ce poème ? »
J’ai lu le poème. Je me souviens parfaitement des derniers vers : Quand
on en aura fini avec les Allemands et les Japs, on rentrera liquider les Juifs
et les Noirs. J’ai dit : « Les gars, ce poème me plaît tellement,
surtout la dernière strophe, que je vais vous le relire. » Après l’avoir
relu, je leur ai dit : « Regardez-moi bien. Le voilà le Juif que vous
allez liquider. » Alors une bagarre a éclaté. Ils ne voulaient pas
vraiment me tuer, mais ils avaient la ferme intention de régler des comptes. Cette
expérience m’a permis de voir la seconde guerre mondiale sous un autre angle.
Pour moi, la guerre a signifié l’immense joie de faire
partie de l’armée américaine. Après la victoire sur l’Allemagne nazie je n’avais
aucune hésitation quant à ma participation à la guerre dans le Pacifique. J’y
serais allé avec le même enthousiasme qu’en Europe. Les officiers étaient sceptiques,
un exilé européen ne pouvait pas prendre la guerre du Pacifique au sérieux. Pourtant
j’y aurais couru.
J’étais à Camp Ritchie quand nous avons appris par la radio
la mort de Roosevelt. J’étais complètement désorienté et attristé. De nombreux
officiers ne se tenaient plus de joie. Il n’était pas mort assez vite. Ce n’était
pas trop tôt. J’ai entendu ça
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