La bonne guerre
mission.
On est monté à plus de huit mille cinq cents mètres. Je
crois que notre objectif c’était Kokura, mais je ne me souviens plus très bien.
Là où on a largué la bombe, ce n’était pas notre premier objectif. On a fait
deux passages, et on avait trois cibles possibles, Nagasaki était la dernière
sur notre route.
Pourquoi pas les deux autres ?
Parce qu’on ne réussissait pas à les voir. Quand on est
arrivés au-dessus, c’était tout couvert. On avait envoyé trois avions en
mission météo devant nous, qui nous avaient dit que c’était dégagé au-dessus de
Kokura. Seulement quand on y est arrivés c’était tout bouché, et ils voulaient
qu’on fasse ce largage à vue. On pouvait bombarder au radar, mais avec cette
bombe-là ils n’ont pas voulu qu’on le fasse. Ils ne voulaient pas gaspiller
trop de vies pour rien.
Au radar, ce n’était pas aussi précis. Ils savaient qu’on
risquait fort de ne toucher qu’une zone résidentielle. Ils ne voulaient
utiliser le radar qu’en cas de nécessité. De toute façon, il fallait larguer la
bombe parce qu’elle était amorcée, et c’était impossible de se poser avec ça. En
plus on savait qu’on allait être à court de carburant. Cet objectif vers lequel
on se dirigeait se situait entre nous et Okinawa, alors on s’est dirigés vers
Okinawa. Et puis ça a commencé à être la course, à la dernière minute l’autre
avion l’a vu, et a accompli sa mission, largage en plein dessus.
Vous voulez parler de Nagasaki ?
Exact. Ils ne voulaient pas de nous à Okinawa. Pas mal, non ?
Ils venaient juste de réussir leur coup, et on nous annonce qu’on ne veut pas
laisser atterrir un seul de nos engins. Chuck Sweeney qui pilotait le premier
avion a dit : « Ça serait pourtant drôlement mieux que cette espèce d’océan
qui nous entoure. » (Il rit.)
On était limite, et Sweeney était encore plus limite que
nous, tellement bien que son moteur inboard s’est arrêté tout seul en
tout début de piste. Il faut dire qu’il était bien plus chargé que nous.
En fait, le dernier appareil, on ne l’a jamais vu, celui
avec les caméras… On avait assez de matériel photo et cinéma à bord du nôtre
pour tout prendre, c’est de là que viennent les photos, de notre avion.
Au moment du largage de la bombe sur Nagasaki, est-ce que
vous avez vu ce qui se passait dessous ?
Oui, très bien. On a vu que tout était en flammes, des
hectares et des hectares de feu. On avait bien dû descendre jusqu’à six mille
cinq cents mètres.
Vous souvenez-vous de votre première réaction ?
On pourrait embellir la chose, et dire comme tout le monde :
« Oh, mon Dieu… » ou un truc comme ça. Mais c’était… je ne peux pas
vous le dire là comme ça.
On se rend compte que ç’a été quelque chose d’énorme. On en
avait un peu discuté entre nous à bord. On avait noté qu’elle était bien plus
importante que les bombes habituelles, qu’elle avait dû faire bien plus de
destructions, des trucs comme ça.
Si une troisième avait été larguée, c’est notre équipage qui
l’aurait fait. Autant que je sache, il n’y avait que quatre bombes de prêtes, dont
une aux États-Unis. La troisième a été chargée à bord de notre appareil le jour
de la capitulation du Japon. Notre pilote c’était FredBock,
c’est pour ça qu’on l’avait baptisé Bock’s Car. L’ Enola Gay devait
son nom à la mère de Paul Tibbets. C’était l’avion d’Hiroshima.
Rencontrez-vous parfois les autres gars ?
Nous nous sommes revus à Chicago, il y a de ça quelques
années. On se réunit environ tous les deux ou trois ans. Seulement ils font
toujours ça en plein été, juste quand moi je ne peux pas laisser la ferme. L’autre
jour il y a un ancien membre de l’équipage du bombardier qui est venu me rendre
visite. On a pris des photos et on s’est raconté nos souvenirs.
Je sais qu’on vous pose cette question à chaque fois que
le sujet est abordé. Vous arrive-t-il, à vous, ou aux autres, d’avoir des
problèmes de conscience ?
Aucun, autant que je sache. Sauf pour un seul d’entre nous
qui a d’ailleurs beaucoup fait parler de lui. Il est mort maintenant. Je ne
sais pas du tout s’il était sincère. Il s’appelait Eatherly.
Claude Eatherly.
Oui, c’est ça. On a été de bons amis, Buck et moi, pendant
un temps. Je ne sais pas pourquoi il s’est mis à l’écart. Il venait du Texas. Je
l’ai revu il y a quelques
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