La bonne guerre
mille à cinq mille
kilomètres. C’était toujours censé se passer au-dessus de l’Allemagne. On
pensait tout le temps à l’Allemagne. Le Japon a juste été une mise au point, je
pense que ça a été une décision de dernière minute de la part de Truman.
Hajimi
Kito Friedman et Hideko Tamura (Tammy) Friedman
Ce sont des hibakusha [23] , des survivants d’Hiroshima. Il habite au Japon, et elle est mariée à un
Américain et habite une banlieue de Chicago. Ils se rencontrent pour la
première fois, à l’occasion de cette émission radiophonique dans un studio de
Chicago.
Ils écoutent les souvenirs d’une jeune Japonaise, également
une hibakusha. L’enregistrement date de 1960, et elle raconte la journée
du 6 août 1945.
Voix de femme : J’avais les yeux tournés vers le ciel, afin
d’essayer de localiser l’avion. Ensuite j’ai vu un violent éclair en plein ciel,
et alors je me suis protégé le visage contre le sol. Je me souviens aussi qu’au
moment de l’impact j’ai été projetée plus loin. Quand j’ai repris conscience je
ne retrouvais plus aucun de mes amis. Ils avaient été disloqués ou brûlés. Mes
vêtements, à part mes sous-vêtements, étaient entièrement en lambeaux. Partout
ma peau pelait et pendait de mon corps, sur mes bras, mes jambes et mon visage.
La chaleur était telle que j’ai plongé dans la rivière qui
était toute proche, la petite rivière qui traversait la ville. Tous mes amis
étaient dans la rivière… (Elle pleure. L’interprète s’arrête en milieu de
phrase, et ajoute dans un sanglot contenu : « Je ne pense pas que
je peux raconter ça… »)
Kito : (Après
une longue pause) En entendant la voix de cette femme, même trente-sept ans
après, je me souviens parfaitement de cet instant précis. Quand la bombe a été
larguée je me trouvais là-bas avec l’armée. J’étais soldat et j’avais dix-neuf
ans. De jeunes enfants ont couru vers moi. J’entends encore les voix de ces enfants
d’école primaire qui se précipitaient vers nous pour qu’on leur vînt en aide. Je
me souviens surtout qu’ils hurlaient tous pour avoir de l’eau, ils étaient si
nombreux, et il était humainement impossible d’en donner à tout le monde. C’était
tout simplement impossible, et ils mouraient sous nos yeux. Il a fallu emporter
ces corps et les brûler, les incinérer en quelque sorte. Parce que ce n’était
plus que des cadavres. J’entends encore très distinctement leurs voix.
Friedman :
J’étais dans ma maison, qui s’est avérée un excellent abri. Mon grand-père
était industriel, et nous vivions dans une grande propriété aux murs très épais,
et avec une solide charpente de poutres. La maison ne s’est pas écroulée, et
ces murs épais m’ont protégée des radiations. Bien que j’aie été affectée, ça n’a
pas pris les proportions que ç’aurait pu prendre si j’avais vécu dans une
maison plus petite.
J’avais onze ans, et quelques jours après l’explosion je
suis partie à la recherche de ma mère. Je suis allée un peu partout, j’ai vu
des gens qui ne recevaient aucun secours, car nous recevions très très peu d’aide.
Tout le monde avait été totalement pris au dépourvu, et en plus nos ressources
étaient ridicules.
Les gens n’avaient pratiquement rien à manger, et rien à se
mettre sur le dos. Je n’avais que cinq haricots secs, et je les ai
précieusement serrés dans la main toute la journée. Je me sentais suffisamment
bien pour pouvoir tenir sur mes jambes, tandis que la plupart des gens que je
voyais étaient étendus un peu n’importe où, dans des cours d’école ou des jardins
publics.
J’errais en appelant ma mère : « Si tu m’entends, si
tu es là, réponds-moi. » J’aurais sûrement été complètement désemparée si
quelqu’un avait répondu, car je n’aurais pas su quoi faire pour lui venir en
aide. Pourtant, comme je n’étais qu’une enfant, je cherchais ma mère
désespérément. J’étais vraiment perdue, alors j’ai imaginé un stratagème dans
ma tête, une espèce de formule magique. Je me suis dit que j’allais chanter des
berceuses qu’elle aimait, et qu’elle avait l’habitude de me chanter. Et je me
disais : « Mon Dieu, est-ce que vous pourriez faire que le vent porte
ces mélodies jusqu’à ses oreilles pour la réconforter, comme si j’étais auprès
d’elle ? » Je me souviens que je pleurais et que je sanglotais en
chantant.
Près de
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