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La bonne guerre

La bonne guerre

Titel: La bonne guerre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Studs Terkell
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il aurait suffi d’attendre qu’il n’y
ait plus de radiations pour renvoyer les gosses chez eux.
    Cela se passait pendant le maccarthysme. Je trouvais que c’était
une plaisanterie de fort mauvais goût. Je ne sais pas si les gens le prenaient
vraiment au sérieux. Moi, en tout cas, je me souviens que je n’ai jamais eu
peur. Je racontais à tout le monde autour de moi que c’était un type abominable,
et je me suis souvent demandée comment le FBI, qui était toujours en train de
vérifier ce qu’on faisait et ce qu’on disait, a fait pour ne pas m’arrêter. (Elle
rit.) J’ai toujours dit ce que je pensais, c’est plus fort que moi.
    Les femmes des collègues de Harry pensent que je manque de
discernement, que j’ai trop lu, que j’intellectualise trop les choses. Une fois,
nous assistions à une réunion préparatoire à notre départ en Arabie Saoudite, et
j’ai posé quelques questions. Après, au cours du pique-nique, ces fameuses
femmes m’ont dit : « Oh, c’est vousqui avez
posé toutes ces questions », et alors elles sont parties et m’ont laissée.
    Nous avons perdu la plupart de nos amis. Ils ne nous ont
jamais écrit pour nous dire : « Maintenant, on comprend ce que vous
avez pu ressentir. » Ce qu’ils disent en vérité, c’est : « À
raconter des choses aussi abominables, vous pourriez être en prison. »
    Je pense qu’un bon nombre de ceux qui se sont trouvés impliqués
dans la seconde guerre mondiale laissent implicitement comprendre à leurs
enfants qu’ils sont en droit de rejeter l’armée. Si vous leur demandiez, je
suis sûre qu’ils prétendraient le contraire, mais ils avaient conscience que
cette guerre était différente.
    Tous ces gamins de l’après-guerre sont persuadés qu’ils ne
feront pas de vieux os. Un de mes fils qui est charpentier ne fait absolument
pas d’économies, même à trente-quatre ans. Quand il en a envie, il s’en va. Quant
au mariage ou à l’achat d’une maison, n’en parlons pas, pour lui, il n’y a pas
d’avenir. Comment voulez-vous que ces milliers de gosses que l’on faisait
plonger sous leurs bureaux, au cours des alertes à la bombe atomique, puissent
imaginer un avenir ? Toute leur vie on leur a raconté qu’ils n’échapperaient
pas à la bombe. C’est bien triste.

Bill Barney
    Nous sommes installés dans la cuisine d’une ferme de l’Indiana,
à près de cinquante kilomètres de Fort Wayne. En ce merveilleux matin d’automne
nous pouvons observer autour de nous de riches terres agricoles. Maintenant, on
ne fait plus que du maïs, du blé et du soja.
    « Cette ferme était à mon père, et j’ai commencé
avec lui. Avant je n’avais pas grand-chose à moi. Mais maintenant tout est
complètement différent. Une foule de fermiers sont au bord du gouffre. Hier je
discutais avec un commissaire-priseur qui me racontait que rien que là, en
septembre et en octobre, il avait vendu une ferme par jour. Ici on ne fait pas
d’élevage, chez nous on a un chien, c’est tout. De toute façon pas question de
faire son abattage soi-même, et d’essayer d’en vivre. Il n’est plus possible d’être
indépendant. »
    Le café arrive immédiatement sur la table : ici c’est
comme ça avec tous les visiteurs, j’imagine. On sent qu’il est timide et qu’il
manque d’assurance, il n’est pas du genre bavard, mais ses mains calleuses, son
visage buriné, à quoi s’ajoutent tous ces hectares de terres soigneusement
labourées, vous font comprendre bien d’autres choses. Il serait parfait au
cinéma, dans un rôle « d’homme de la terre ».
    Il faisait partie de l’équipage qui a largué la bombe A
sur Nagasaki, le 9 août 1945.
    Mince alors, je ne sais pas quoi vous dire ! Ce qui me
vient d’abord à l’esprit, c’est… sûrement les gars de l’équipage, la vie qu’on
avait tous ensemble. Quelque chose que je n’aurais jamais connu sans ça.
    J’ai quitté le lycée pour entrer dans l’armée, en janvier
1943. Je n’avais encore jamais eu le temps de me poser de questions à cette époque.
J’ai d’abord été envoyé dans les services vétérinaires. (Il ricane légèrement.) Il fallait s’occuper des chiens de garde, et on avait la charge de leurs
repas. Ça ne m’emballait pas trop, alors j’ai été transféré dans un autre
service. J’étais dans l’armée de l’air, et j’ai eu la possibilité de poser ma
candidature pour une école militaire, mais comme il n’y avait

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