La bonne guerre
plus de places on
nous a envoyés dans une école d’artilleurs à Laredo, au Texas.
On est donc allés apprendre à devenir artilleurs sur B 24.
Quand on en est sortis, ils nous ont envoyés au Nebraska. Ils commençaient tout
juste à former des équipages pour les B 29. Alors ils ont sélectionné tout
un groupe pour nous envoyer dans une autre école d’artilleurs, sur B 29
cette fois. Et figurez-vous que quand je suis sorti de là ils m’ont annoncé que
j’allais être radariste. À l’époque les B 29 étaient les plus gros avions
de combat qui existaient.
Notre escadron était prêt à quitter les États-Unis quand d’un
seul coup, en pleine nuit, on constate au tableau d’affichage que notre unité
ne fait pas partie de cette mission et qu’à la place on va à Wendover dans l’Utah.
On n’avait pas la moindre idée de l’endroit où se trouvait Wendover, et on ne
savait pas ce que c’était, ni pourquoi on nous envoyait là-bas. On avait le
même entraînement qu’avant, peut-être un petit peu plus sophistiqué. Et on nous
a dit que c’était un truc top secret. La première chose qu’ils ont faite sur
nos avions, ç’a été d’en retirer tout l’armement, sauf le petit canon en queue,
pour les alléger, pour augmenter la vitesse et pour qu’on puisse prendre davantage
d’altitude.
On faisait des essais avec de très grosses bombes à bord. Ils
nous ont fait voler avec plein de fausses bombes, alors on en avait conclu que
ce qu’on nous donnerait serait sûrement un machin très lourd. Et puis il
courait toutes sortes de bruits, mais on n’a pas su de quoi il s’agissait avant
que la première soit lâchée.
En fait ils expérimentaient les systèmes de détonation de
ces bombes. Aucun moyen n’avait été mis au point, ils ont même essayé avec
quelqu’un au sol, vous imaginez, vous êtes dans les airs et il y a quelqu’un au
sol chargé de faire détoner l’explosif. On a fait quelques essais dans les montagnes,
mais finalement ils ont décidé d’abandonner cette idée et d’armer les
détonateurs à bord.
Les plus grosses bombes qu’on ait larguées avant ç’avait été
ces bombes incendiaires de deux cent cinquante kilos. On ne savait pas du tout
quelle taille auraient les nouvelles bombes, mais quand on a vu qu’une seule
tiendrait dans le lance-bombes, on s’est dit qu’elle devait être pas mal. On a
donc compris pourquoi on parlait en tonnes.
On a pris de nouveaux avions à Omaha, sur lesquels ils ont
installé tout un nouvel équipement. Et on a emmené ces avions à Tinian, une île
du Pacifique sud.
Et on a commencé à participer régulièrement à des missions
de bombardement sur le Japon. Mais jusque-là on ne larguait rien d’autre que
des bombes de sept tonnes de TNT. Une fois, on a fait un raid sur Tokyo. On
volait généralement vers huit mille cinq cents mètres, et on voyait tout
éclater en une gigantesque explosion. Moi je n’ai jamais vu grand-chose parce
que j’avais toujours les yeux rivés au radar. De temps en temps j’allais à un
hublot.
À quel moment avez-vous pris conscience du type de
mission que vous alliez accomplir ?
Nous l’avons su une fois que la première bombe a été lâchée.
Les gars del’ Enola Gay nous l’ont retransmis par radio. En fait
on a vraiment su ce que c’était quand on l’a lu dans les journaux. C’est
seulement à ce moment-là qu’on a compris. J’étais à la caserne à Tinian. On
savait que ça s’appelait le Manhattan Project, mais on ne savait pas ce
que c’était que ce Manhattan Project.
Il y avait quinze équipages, c’est tout, qui avaient été
entraînéspour le largage de cette bombe. Des équipages
de neuf. On formait un escadron : le 509 e groupe mixte.
Avez-vous pu rencontrer les gars à leur retour de mission ?
À leur descente d’avion ? Sûrement pas. Pas moyen de
les approcher, il y avait une telle pagaille. Après ça, oui, je leur ai parlé. Ils
étaient tout aussi excités que nous. Mais sur le moment, c’était rien de plus
que ça.
On a décollé le neuf. L’après-midi vers deux heures, notre
ordre de mission a été affiché : décollage dans la nuit. Trois avions y
participaient. Le troisième était équipé de caméras. Moi je n’étais pas à bord de celui qui portait la bombe. J’étais à bord du deuxième avion, celui
qui était chargé de mesurer la vitesse de la bombe. C’est de ça que j’étais
chargé au cours de cette
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