La campagne de Russie de 1812
conserver la paix »,
prenant le prétexte de la baisse du rouble – résultant
du blocus partiel – ferme ses ports aux navires apportant des
produits français.
– Ainsi,
s'exclamera Napoléon non sans raison, plus de relations
commerciales entre les deux Empires ? Est-ce là un état
de paix et d'alliance ?
Le tsar répondra
en s'étonnant. Seules, affirme-t-il, des « nécessités
économiques » l'ont « contraint »
d'agir de cette manière.
Lorsqu'on a un
voisin qui s'appelle Napoléon. 0n ne peut, comme certains,
reprocher au tsar d'avoir, dès le début de 1810, pris
d'importantes précautions militaires. Tout en assurant à
Caulaincourt qu'il ne possède pas « une baïonnette
de plus dans les rangs » de son armée, Alexandre
déclare à l'ambassadeur de Suède – afin
d'impressionner Bernadotte devenu prince héritier de Suède
– qu'il a mis sur pied de guerre treize nouveaux régiments.
Avant même la fin de l'année 1810 – nous le savons
aujourd'hui – trois cent mille hommes se trouvent massés
derrière le Niémen, alors que l'Empereur n'a encore que
cinquante mille hommes disséminés, éparpillés
plutôt, entre le Rhin et la Vistule.
Le mercredi 26
décembre 1810, le tsar écrit à sa sœur
Catherine : « Il paraît que le sang va couler encore
: du moins je fais tout ce qu'il est humainement possible pour
l'éviter... ».
Alexandre, passé
maître en l'art du double jeu, affirme à Caulaincourt :
– Si
l'empereur Napoléon vient sur mes frontières, s'il veut
par convoquent la guerre, il la fera, mais sans avoir un grief contre
la Russie. Son premier coup de canon, me trouvera aussi fidèlement
dans le système, aussi éloigné de l'Angleterre
que je l'ai été depuis trois ans. Je vous en donne ma
parole.
Caulaincourt,
ambassadeur peut-être un peu trop naïf, véritablement
envoûté par le charme slave d'Alexandre, croit à
la bonne foi du souverain auprès duquel il est accrédité,
alors qu'au même moment, la Russie se rapproche de l'Angleterre
et entame même des tractations avec elle. Le tsar est, sans
doute ici, plus responsable que Napoléon du nouveau conflit :
on le voit préparer savamment la rupture et cherche des
alliés. Il tend la main à l'Autriche et, le 13 février
1811, propose en ces termes une alliances offensive et défensive
à l'empereur François : « Si par le sort des
armes, cette Pologne me tombait en partage, je propose à Votre
Majesté de lui céder tout de suite la Valachie, la
Moldavie jusqu'au Sereth... en y joignant la Serbie. »
Fort heureusement
pour Napoléon, Metternich se méfie – à
tort d'ailleurs – et s'exclame :
– La mariée
est trop belle !
Napoléon
ignore certes le double jeu moscovite, mais il le devine et fait
accélérer la fabrication des fusils : « Ordonnez,
écrit-il à Clarke, ministre de la Guerre, le 18 février
1811, qu'aux premiers jours de mai, si j'avais besoin d'avoir ces
soixante mille armes, elles puissent sortir vingt-quatre heures après
que je l'aurais ordonné. »
Dix jours plus
tard – le jeudi 28 février 1811 – Napoléon
n'en écrit pas moins à Alexandre pour lui témoigner
ses sentiments de confiance et d'amitié : « Ces
sentiments ne changeront pas, quoique je ne puisse plus me dissimuler
que Votre Majesté n'a plus d'amitié pour moi... »
Napoléon énumère ensuite ses griefs. Pourquoi
refuser la compensation qu'il offre au beau-frère du tsar pour
la mainmise sur le duché d'Oldenbourg ? Pourquoi cet ukase
dirigé contre la France ? Pourquoi ces fortifications
« élevées sur dix points de la Dvina »
? Et il poursuit : « Déjà notre alliance
n'existe plus dans l'opinion de l'Angleterre ; fut-elle aussi entière
dans le cœur de Votre Majesté qu'elle l'est dans le
mien... Je suis le même pour elle, mais je suis frappé
de l'évidence de ces faits et de la pensée que Votre
Majesté est toute disposée, aussitôt que les
circonstances le voudront à s'arranger avec l'Angleterre, ce
qui est la même chose que d'allumer la guerre entre nos deux
Empires. »
Le tsar ne
répondra pas mais continuera, jusqu'au départ de
Caulaincourt pour Paris, d'affirmer à l'ambassadeur de France
ses sentiments pacifiques. Le duc de Vicence est totalement dupé
et, dès son retour à Paris, Napoléon, « fort
aigre », le lui déclare sans ambages. Le grand
écuyer se défend : il est persuadé que la Russie
veut la paix ! Durant un quart d'heure, l'Empereur arpente
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