La campagne de Russie de 1812
déjà
pris mon parti. »
– Ce sont
des raisonnements dont vous êtes dupe parce qu'il les enveloppe
de cajoleries. Moi je suis un vieux renard ; je connais les Grecs.
– Moi Sire,
si Votre Majesté me permet une dernière réflexion...
– Parlez
parlez donc ! interrompt l'Empereur avec impatience.
– Pour moi,
Sire, j'ose le répéter à Votre Majesté,
je ne vois que deux partis à prendre : rétablir la
Pologne et la proclamer afin d'avoir pour soi les Polonais, ce qui
peut avoir un avantage politique, ou maintenir l'alliance avec la
Russie, ce qui fera arriver la paix avec l'Angleterre et unira vos
affaires d'Espagne.
– Quel parti
prendriez-vous ?
– Le
maintien de l'alliance, Sire ! C'est le parti de la prudence et de la
paix.
– Vous
parlez toujours de paix ! La paix n'est quelque chose que quand elle
est durable et honorable... Il faut que l'Angleterre soit convaincue
qu'elle ne trouvera plus d'auxiliaires sur le continent. Il faut donc
que le colosse russe et ses hordes ne puissent plus menacer le Midi
d'une irruption.
– Votre
Majesté penche donc pour la Pologne ? Dans cas, il est digne
d'elle et de ce grand but de tenir un autre langage. Depuis qu'elle
s'y prépare, elle a eu le temps de faire ses réflexions.
C'est une grande entreprise à mener de front avec les guerres
d'Espagne et d'Angleterre.
– Je ne veux
pas la guerre, je ne veux pas la Pologne !... Convenez franchement
que c'est Alexandre qui veut me faire la guerre.
– Non, Sire,
déclare Caulaincourt avec force. J'engagerais ma tête à
Votre Majesté qu'il ne tirera pas le premier coup de canon, ni
ne dépassera le premier ses frontières.
– Nous
sommes donc d'accord, reprend l'Empereur, car je n'irai pas le
chercher et je ne veux ni la guerre, ni le rétablissement de
la Pologne.
– Alors,
Sire, il faut s'expliquer, et qu'on puisse savoir le but de la
réunion des armées de Votre Majesté, à
Dantzig et dans le nord de la Prusse.
– On veut me
faire la guerre, vous dis-je.
Caulaincourt, ne
parvenant pas à convaincre son maître, se permet
d'ajouter – du moins il l'affirmera plus tard :
– On sait
trop maintenant en Europe que Votre Majesté veut conquérir
des pays, davantage pour Elle-même que pour leur intérêt
propre.
– Vous
croyez cela, monsieur ?
– Oui, Sire.
– Vous ne me
gâtez pas, reprend Napoléon en riant. Allons, conclut-il
en entraînant Caulaincourt, il est temps d'aller dîner.
*****
Deux mois ont
passé... Les mouvements opérés par les Russes
derrière le Niémen étonnent empereur :
– Je suis
comme l'homme de la nature, ce que je ne comprends pas excite ma
défiance.
Le 15 août
1811, Napoléon fête son quarante-deuxième
anniversaire. Seulement quarante-deux ans !... De même que
Bonaparte avait autrefois, au temps du Consulat, « attaqué »
en public l'ambassadeur d'Angleterre, l'Empereur interpelle, cette
fois avec violence, le prince Kourakine, ambassadeur du tsar,
célibataire richissime et doué d'un tel tempérament
qu'il avait eu soixante-dix bâtards...
– Ne croyez
pas que je sois assez bête pour croire que ce soit l'Oldenbourg
qui vous occupe ; je vois clairement qu'il s'agit de la Pologne ;
moi, je commence à croire que c'est vous qui voulez vous en
emparer, pensant peut-être qu'il n'y a pas d'autre moyen
d'assurer de ce côté vos frontières... Ne vous
flattez pas que je dédommage le duc d'Oldenbourg du côté
de Varsovie. Non, quand même vos armées camperaient sur
les hauteurs de Montmartre, je ne céderais pas un pouce du
territoire varsovien ; j'en ai garanti l'intégrité...
Vous n'en aurez pas un village, vous n'en aurez pas un moulin. Je ne
pense pas à reconstituer la Pologne ! L'intérêt
de mes peuples n'est pas lié à ce pays ; mais si vous
me forcez à la guerre , je me servirai de la Pologne comme
d'un moyen contre vous... Vous savez que j'ai 800 000 hommes, que
chaque année met à ma disposition 250 000 conscrits et
que je puis, par conséquent, augmenter mon armée en
trois ans de 700 000 hommes qui suffisent
pour la guerre en Espagne et vous la faire.
N'avait-il pas
demandé un jour à ce même prince Kourakine :
– Votre
maître a-t-il comme moi 25 000 hommes à dépenser
par mois ?
Quel mot affreux
!... Mais il ne laisse pas le temps au malheureux ambassadeur de
répondre et poursuit :
– Je ne sais
pas si je vous battrais, mais nous nous battrons. Vous comptez sur
des alliés : où sont-ils ?
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