La campagne de Russie de 1812
son
cabinet sans mot dire, puis il demande :
– Vous
croyez donc que la Russie ne veut pas la guerre et qu'elle resterait
dans l'alliance et prendrait des mesures pour soutenir le système
continental si je la satisfaisais pour la Pologne ?
– La
question n'est plus en Pologne seulement, répond Caulaincourt,
cependant, je ne mets point en doute, Sire, qu'on se tiendrait pour
fort satisfait si Votre Majesté retirait de Dantzig et de la
Prusse au moins la lus grande partie des forces qu'on croit n'y être
réunies que contre la Russie.
– Les Russes
ont donc peur ? interroge l'Empereur.
– Non, Sire,
mais en gens raisonnables, ils préfèrent une guerre
déclarée à une situation qui n'est pas un état
réel de paix.
– Ils
croient donc me faire la loi ?
– Non, Sire.
– Néanmoins
c'est me la dicter que d'exiger que j'évacue Dantzig pour le
bon plaisir d'Alexandre.
– L'empereur
Alexandre n'exige rien, sans doute pour qu'on ne dise pas qu'il
menace. Pourtant, il énumère tout ce qu'il s'est passé
depuis Tilsit et il trouve que les armées ce Votre Majesté,
à trois cents lieues en avant de ses frontières et sur
la frontière russe, n'y sont pas venues dans l'esprit du
maintien de l'alliance...
– Bientôt
il faudra que je demande à Alexandre la permission de faire
défiler la parade à Mayence !
– Non Sire,
mais celle qui défile à Dantzig l'offusque.
– Je lui ai
proposé un échange pour Oldembourg. Il l'a rejeté
avec dédain. J'ai offert un arrangement sur le duché de
Varsovie : on n'en a pas voulu.
– Votre
Majesté venait de chasser de ses États le duc
d'Oldenbourg, parent de l'empereur, au moment où son fils
épousait sa sœur.
– Les Russes
sont devenus bien fiers.
– Mon
devoir, dans cette circonstance, est de plaider contre Votre Majesté.
Je n'approuve ni ne blâme ; je raconte.
– On veut me
faire la guerre, vous dis-je.
– Les
ménagements qu'on met dans les explications prouvent qu'on ne
veut faire ni la guerre ni la loi à Votre Majesté, mais
tout m'a aussi prouvé qu'on ne voulait pas la recevoir chez
soi.
– Les Russes
veulent me forcer à évacuer Dantzig, répète
l'empereur. Ils croient me mener comme leur roi de Pologne ! Je ne
suis pas Louis XV ; le peuple français ne souffrirait pas
cette humiliation.
« Ne
répondant pas, raconte Caulaincourt, l'Empereur répéta
plusieurs fois avec chaleur que le peuple français ne
souffrirait pas cette humiliation, qu'il n'était pas Louis XV,
puis succéda un assez long silence qu'il rompit en me disant »
:
– Vous
voudriez donc m'humilier ?
– Pas plus
Votre Majesté que la France, répondit l'ambassadeur.
Elle me demande le moyen de maintenir l'alliance et ses bonnes
relations avec la Russie : je les lui indique.
– Me
conseillez-vous cette humiliation ?
– Oui, Sire,
de vous replacer dans la position où vous étiez après
Erfurt. Je ne vois pas d'humiliation à cela, si Votre Majesté
veut maintenir la paix et l'alliance.
– Je vous ai
déjà dit que je ne voulais pas rétablir la
Pologne.
– Alors je
ne comprends pas à quoi Votre Majesté a sacrifié
son alliance avec la Russie !
– C'est la
Russie qui l'a rompue parce que le système continental la gêne
!
– Cela est
un autre procès.
L'Empereur se
déride, lui tire l'oreille et demande en souriant :
– Vous êtes
donc amoureux d'Alexandre ?
– Non, Sire,
mais je le suis de la paix !
– Et moi
aussi, mais je ne veux pas que les Russes m'ordonnent d'évacuer
Dantzig.
– Aussi n'en
parlent-ils pas, affirme Caulaincourt : « L'Empereur
Napoléon, m'a dit l'empereur Alexandre lorsque je l'ai quitté,
sait tout ce qui a porté atteinte à l'alliance, tout ce
qui inquiète l'Europe, tout ce qui est devenu menaçant,
même hostile contre son allié. Il saura mieux qu'un
autre si l'alliance lui est encore utile, tout ce qui est nécessaire
pour la maintenir. L'état de choses actuel ne peut durer, car
il faut que l'alliance soit utile aux deux parties et je me trouve
seul en état de paix depuis que vos troupes sont sur mes
frontières. Si je n'ai pas encore exigé des
explications sur tout ce qui s'est passé, c'est que j'ai
espéré que l'empereur Napoléon, plus éclairé
sur ses véritables intérêts, reviendrait à
des mesures plus conformes à l'alliance qui nous a unis. Si
cette alliance ne devait pas amener l'Angleterre à la paix et,
par conséquent, garantir le repos du monde, j'aurais
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