La campagne de Russie de 1812
Est-ce l'Autriche à
qui vous avez ravi 300 000 hommes en Galicie ? Est-ce la Prusse ?
Celle-ci se souviendra qu'à Tilsit, l'empereur Alexandre, son
bon allié, lui a enlevé le district de Byalystock.
Est-ce la Suède ? Elle se souviendra que vous l'avez à
moitié détruite en lui prenant la Finlande. Tous ces
griefs ne sauraient s'oublier : toutes ces injures se paieront ; vous
avez le continent contre vous !
Kourakine, le
visage ruisselant, ne cesse de s'éponger, et ne parvient à
placer que quelques vagues protestations sur le tsar, « ami
le plus fidèle de la France..., ami le plus dévoué
de son souverain ». Entre deux tirades de Napoléon,
il répète, pitoyable :
– Il fait
bien chaud chez Votre Majesté !
Enfin il ne lutte
même plus et, durant un quart d'heure, demeure la bouche
ouverte sans pouvoir prononcer le moindre mot :
– Vous
faites comme le lièvre qui a reçu du plomb, lui fait
remarquer l'Empereur. Il se lève sur ses pattes et s'agite,
affolé, s'exposant à recevoir en plein corps une
nouvelle décharge...
La guerre est
maintenant inévitable.
Le mercredi 5
décembre 1811, Jérôme alerte son frère :
« La fermentation est au plus haut point, les plus folles
espérances sont entretenues et caressées avec enthousiasme. » Les armées
françaises d'observation passent de cinquante à
quatre-vingt mille hommes. Le 16 décembre, Napoléon
ordonne de « préparer la Garde pour entrer en
campagne » et, trois jours plus tard le bibliothécaire
des Tuileries, le sieur Barbier, reçoit l'ordre de faire
parvenir à l'Empereur « quelques bons ouvrages, les
plus propres à faire connaître la topographie de la
Russie et surtout de la Lituanie, sous les rapports des marais,
rivières, bois et chemins. Sa
Majesté, précise la note, désire savoir aussi ce
que nous avons en français de plus détaillé sur
la campagne de Charles XII en Pologne et en Russie. Quelques ouvrages
sur des opérations militaires dans cette partie seraient
également utiles ».
C'était là
chose la plus commode à rassembler que de transformer
l'empereur d'Autriche, les rois de Prusse et de Suède en
alliés de la France ! Si Metternich acceptait de fournir un
contingent de trente-quatre mille hommes à Napoléon, il
s'en excusait auprès du tsar, amenant que ces troupes ne
seraient qu' auxiliaires . Alexandre remercie en assurant qu'il
ne ferait pas la moindre égratignure aux soldats autrichiens –
le froid d'ailleurs s'en chargera... Le roi de Prusse doit se
résigner à fournir de son côté vingt mille
hommes contre son ami Alexandre – vingt mille hommes qui
seraient incorporés dans la Grande Armée – tout
en précisant sous le manteau au tsar :
– Si la
guerre éclate, nous ne nous ferons de mal que ce qui sera
d'une nécessité stricte ; nous nous rappellerons
toujours que nous sommes unis, que nous devons un jour redevenir
alliés.
Bernadotte
s'offrait le luxe d'adresser de grandes protestations d'affection à
Napoléon. Se ranger au côté du tsar ? On
l'avilissait avec une telle pensée ! Combattre l'Empereur, son
ancien compagnon d'arms ? Notre Béarnais affirmait qu'il ne
commettrait jamais une telle infamie ! Plutôt que d'agir de la
sorte, il préférerait « se jeter dans la mer
la tête la première » ou, mieux encore,
fanfaron à souhait « se mettre à cheval sur
un baril de poudre et se faire sauter en l'air » !
Mais, en
Poméranie, les Suédois appliquent si mal le blocus que
Napoléon fait occuper la province donnée par la France
à la Suède en 1810. La politique de Bernadotte devant
cet acte – justifié, mais brutal – bascule alors
vers Alexandre. L'alliance sera bientôt signée –
le 5 avril 1812 – entre les deux compères, mais en
attendant d'intervenir lors de l'hallali final, l'ex-sergent
Bellejambe donne, le 24 avril, ce conseil au tsar :
– Il faut
éviter les grandes batailles, travailler les flancs de
l' ennemi , l'obliger par là à faire des
détachements et le harasser par des marches et des
contre-marches, ce qui est tout ce qu'il y a de plus fâcheux
pour le soldat français et où il donne le plus de
prise. Qu'il y ait beaucoup de cosaques partout !
Un sentiment de
malaise nous envahit en lisant ce texte écrit par un ancien
maréchal de France...
*****
Napoléon
essaye encore d'arrêter la machine mise en mouvement. Il reçoit
à l'Élysée, où il réside
provisoirement, un envoyé et ami du tsar, Tchernitchev, et le
prie
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