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La canne aux rubans

La canne aux rubans

Titel: La canne aux rubans Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Grangeot
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an. Quelle
soirée ! Quelle déception de voir un homme que je vénère dans cet état et
de sentir ici la solitude qui s’abat encore sur moi. Durant la nuit, je ne dors
pas, ressassant mes peines et mes désillusions.
    Je vois, à travers les rideaux de ma chambre, le jour se
lever. Je fais ma toilette, m’habille et me dirige vers les bords de la Seine.
Il pleut, mais je ne sens pas l’eau sur mon visage. Trempé comme une soupe, je
retourne à l’hôtel et m’endors comme une masse. Je retrouve, comme convenu,
papa Rabier et Léontine pour le déjeuner. Il me met tout de suite au courant de
son état de santé.
    — Je ne dois plus voyager, mon petit Blois. Nous
restons en France définitivement. Adieu les chantiers, les batailles, les
hommes à mener. Notre existence se modifiera totalement. Je te fais grâce de
tout ce que ces messieurs de la médecine ont dit. Ma vie se transformera en un
cocon dont je serai le ver à soie. Guepin la Vertu passe dans la légende. Nous
achèterons une villa à Grasse. Calé dans un fauteuil sur la terrasse, je lirai
dans le journal local les aventures des autres. Reste en rapport avec
Lemercier, il te donnera mon adresse. Ainsi, entre deux bateaux, tu ne
m’oublieras pas trop, mon petit.
    Sa voix porte une amertume mêlée au renoncement. Elle
annonce d’autres refus de luttes. Il enchaîne :
    — Léontine possédera enfin un « chez elle ».
Je confesse mon égoïsme passé… Mais, que veux-tu, mon patron, mon singe à moi
se nommait « travail ». J’ai tout donné à ce dernier. Ne fais pas
ainsi, Adolphe mon fils, pense un peu à toi. Prends le temps de vivre, de
regarder aux alentours, de déguster le temps lorsqu’il a encore un goût sucré.
    Je reste muet, l’estomac noué. On dirait qu’il me présente
ses dernières volontés, mêlées à une colère rentrée. Léontine ne bronche pas.
Elle attend que la crise se passe. Papa Rabier « chipote » dans son
assiette. De la pointe de son couteau il écarte les toutes petites rognures de
gras dont il se régalait autrefois. Son verre reste à demi-plein, sa tranche de
pain entière. Durant deux heures, j’écoute ses bribes de phrases qui se perdent
dans ses silences. Mon ami se vide pour moi en un murmure d’amour paternel. Les
traits tirés, le nez pincé, il pose sa serviette à côté de son assiette et
ajoute :
    — Tu me pardonneras. Je monte dans la chambre pour la
sieste. Ne nous perdons pas de vue. Grasse n’est pas loin de Marseille. Nous
t’y attendrons. À bientôt !
    Je me lève, les embrasse tous les deux, puis pars sans me
retourner. Je me retrouve sur le trottoir, la tête vide, le cœur plein. Je
marche sous les arcades face aux grilles du jardin des Tuileries en direction
de la Concorde. Rien n’accroche mon regard car j’erre dans le néant.
    Le soir même je quitte Paris pour Marseille. Rouler de nuit
en devinant le paysage à travers la glace, me tranquillise et occupe mon
esprit. En fin d’après-midi j’arrive chez Michelet qui me reçoit entre deux
clients.
    — Ça ne va pas toi, qu’est-ce qui t’arrive ?
    Je lui raconte en quelques mots ce qui me tracasse.
    — Bon ! Reviens me chercher ici dans une heure. Je
te ferai deux vaccins qui te protégeront au moins en partie, puis nous
passerons la soirée ensemble. Je te secouerai, mon gaillard, dit-il en me
raccompagnant jusqu’à la porte.
    En effet, il me secoue durement, écartant l’angoisse,
remettant en place mes idées ; bref, il m’aide à faire le ménage dans ma
tête. Cet homme doux et calme a un pouvoir de conviction fantastique. Il se transforme
en chirurgien qui opère son malade d’urgence, puis lui donne le traitement
approprié en vue d’une convalescence rapide. Je me sens mieux et presque
heureux. J’attaque mon troisième séjour avec une certaine quiétude. Louis, de
son côté, rassuré, m’annonce que Catherine a trouvé un autre père pour Firmin.
    — Quelles garces ces bonnes femmes ! Nous devenons
des jouets entre leurs doigts. Ouf ! ça finit bien.
     
    Une épidémie de choléra perturbe violemment la vie au camp.
Nous perdons beaucoup d’hommes. Le toubib Cork met en quarantaine la plus
grande partie du personnel dans un espace clos. En effet, la chaleur et
l’humidité aident certains types de fièvres endémiques à se développer. Louis,
atteint quinze jours après notre arrivée, réussira à s’en sortir, mais restera
très fatigué. Quant à moi, grâce à la

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