La canne aux rubans
vaccination effectuée à Marseille,
l’épidémie ne me touche que très faiblement. Je dois pallier le manque de
responsables au chantier et dans les bureaux. Le club se trouve abandonné.
Petit à petit tout rentre dans l’ordre. De nouveaux
arrivants bouchent les trous. J’entends dire que les Hindous nous auraient
contaminés. Les travaux prennent du retard et Londres s’affole. Le courrier
arrive mal. Je reçois juste deux lettres de ma mère, une de l’Ours et une de
papa Rabier me donnant son adresse.
Notre prochain séjour en France voit le contrat de Louis se
terminer. Durant le voyage, il ne me parle que campagne, petite maison, poules,
lapins. Mais je le vois mal finir ses longs jours enterré comme un vieux.
À Saint-Aignan, je m’occupe de ma sœur Georgette. Je lui
achète une petite boutique auprès de la mairie. Une grande pièce, à l’arrière,
sera transformée en atelier. Le premier étage a deux pièces habitables. Elle me
présente un galant qui travaille à la poste, un garçon gentil gardant toujours
le sourire aux lèvres. Maman l’aime bien. Mon frère Georges va entamer son Tour
de France, suivant l’exemple des Bernardeau. Je me porte acquéreur de la petite
ferme du père Mathieu où Henri travaillait et l’y installe. L’Ours et Marianne,
en faisant gentiment leurs affaires, vivent toujours très heureux. Ma mère
vieillit très doucement bien entourée et aimée.
À Paris, je retourne à l’hôtel du quartier Latin et
j’attends stupidement Alice Vermenton qui ne viendra pas. Dans une lettre qui
m’arrive des États-Unis elle regrette de ne pas être au rendez-vous. Elle y
ajoute un adieu définitif entouré de tristesse. Je décide alors de me rendre à
Grasse. Papa Rabier y vit très chouchouté par Léontine. Nous conversons sur la
terrasse à l’ombre des pins parasols. Ils me gardent trois jours. Le pays
magnifique me réjouit les yeux et l’odorat. Je les quitte ravi de mon séjour et
je leur promets de revenir.
À Marseille, après avoir bavardé longuement avec Lemercier,
celui-ci m’assure qu’il fera son possible pour rendre visite aux Rabier avec
une ponctualité fraternelle.
Et voici arrivé enfin mon dernier aller pour Vila de Sena.
Cette fois, je lie conversation avec deux ingénieurs qui, eux, entament leur
contrat. Je joue donc le rôle de guide sur le bateau, chez Ignacio et auprès de
la direction locale. Les travaux avancent mais sont très ralentis durant les
deux saisons de pluies et de crues. Je ne ressens aucun plaisir lors de cette
construction qui lorsque je la quitterai ne sera réalisée que sur le tiers de
sa longueur.
Avant mon départ définitif, j’assiste à l’arrivée des Pères
Blancs prêchant la religion catholique et des pasteurs de la Church Missionary
Society désirant que les indigènes deviennent protestants. Ce va-et-vient,
cette surenchère me confortent dans mes idées d’athée. Chacun propose ses
cadeaux, ses tours de magie, ses colifichets, ses disques passés sur
gramophone… Les indigènes baptisés catholiques glissent doucement vers le
« protestantisme ». Ils chantent un Dieu écartelé entre l’anglais et
le français « bantounisé ». Les Anglais, en majorité protestants,
pratiquent peu, les Portugais suivent la messe romaine, les Hindous dorment,
les Musulmans prient Allah, les Chinois allument des petites bougies et brûlent
de l’encens. Moi je pratique mon golf et lis beaucoup.
Avant mon départ définitif, Mac Green, fort courtoisement,
organise une « party » durant laquelle il prend la parole pour me
remercier du travail effectué.
Je quitte Vila de Sena en emportant, en guise de souvenirs
locaux, un lot de lances, haches, boucliers, harpons ainsi que des coiffures,
tissus, pagnes. Mes frères et sœurs s’en réjouiront devant leurs amis.
X
Dès mon arrivée à Marseille, je me précipite chez Michelet
qui veut m’envoyer en montagne pour me refaire une santé.
— D’accord pour me reposer un peu, mon frère, mais au
gré de ma fantaisie. De plus, il me faut retrouver du travail, car je dois
penser encore à deux sœurs et un frère.
— Tu as tort, Adolphe. Les séquelles ne se font pas
sentir dans l’immédiat. Tôt ou tard, il te faudra régler la facture.
Souviens-toi de ce que je te dis !
À Grasse papa Rabier ne quitte presque plus son fauteuil. Il
a beaucoup, beaucoup maigri. À l’inverse, l’embonpoint de Léontine m’effraie.
Je rends visite à la
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