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La canne aux rubans

La canne aux rubans

Titel: La canne aux rubans Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Grangeot
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de Rabier. Je passe donc à l’hôtel du Louvre pour en connaître la date
exacte. Aimant la marche, je prends peu de moyens de transport, préférant errer
au hasard, sans direction précise. À mon hôtel, situé dans le quartier latin,
séjourne une dame fort agréable à regarder, distinguée, de passage à Paris
comme moi. Nous engageons la conversation dans le hall à propos d’un tout petit
rien. Alice Vermenton, brune, de taille moyenne, me raconte qu’elle va au Havre
pour s’embarquer vers New York afin d’y rejoindre un parent. Ayant des goûts
communs sur plusieurs sujets, nous dînons le soir ensemble. Nous savons
parfaitement que cette aventure demeurera sans suite, nos horizons se trouvant
diamétralement opposés. Une idylle pleine de charme, de feux dévorants,
d’intimité complice naît entre nous. Durant la journée, elle parcourt les
magasins, les chapelleries, entre chez les chausseurs… lieux que je n’apprécie
guère. J’en profite pour arpenter Paris. Le soir nous bavardons franchement et
calmement. J’apprends que son parent de New York n’est autre que son ami, un
homme riche, marié qui ne se résoud pas à divorcer. En contre-partie il lui
offre un voyage par an en France et les moyens d’acheter ce qui lui fait
plaisir. Elle m’assure que je suis sa première aventure qu’elle aimerait
prolonger.
    — Peut-être nous reverrons-nous, Adolphe, lors de nos
prochaines permissions annuelles, me dit-elle en riant.
    — Je te promets de redescendre dans cet hôtel en
souvenir des belles heures que nous avons vécues. Ce soir, je ne peux te
sortir, car un grand ami vient d’arriver ce matin d’Afrique de l’Ouest. Je te
retrouverai après. Tu ne m’en veux pas au moins ?
    — Nullement mon chéri ! Prends tout ton temps, je
penserai très fort à toi.
    Je quitte Alice qui se fait encore plus câline en me disant
au revoir, puis je hèle un fiacre qui me dépose devant la Comédie Française.
L’hôtel du Louvre apparaît en face. Papa Rabier et Léontine quittent leurs
fauteuils, dans le salon, pour m’embrasser très fort. Je retrouve mon père de
cœur avec une joie infinie. Je découvre en lui presque un vieil homme, au
cheveu rare, rougeaud, pointant son ventre en avant et courbant les épaules.
Léontine a grossi, son visage s’est empâté. Nous nous racontons en détail les
péripéties de notre vie tourmentée, lors du repas à l’hôtel. Papa Rabier ne
fume plus ses petits cigares. J’observe un léger tremblement de sa main gauche.
Il parle en s’essoufflant vite et Léontine prend alors le relais avec humour.
    — Tu aurais dû nous rejoindre au lieu d’aller chez tes
Anglais ! Bien sûr, le traitement que je t’offrais à l’époque ne se
compare pas avec ce que tu gagnes, s’excuse Rabier.
    — Certainement, mais l’amitié n’a pas de prix, dis-je
avec un regret sincère.
    Il m’interroge sur ma famille et l’Ours. Je lui donne des
nouvelles de chacun, lui parle de la fin tragique de Toulouse le Riche. Il écoute
mille autres détails avec recueillement. Durant une courte absence de son mari
aux toilettes, Léontine en profite pour me mettre au courant.
    — Gustave est bien malade, mon cher Adolphe. Nous
sommes rentrés pour consulter. L’Afrique use les meilleures lames. Je ne sais
si nous retournerons là-bas. Je lui suggère de descendre dans le Midi de la
France, du côté de Grasse, par exemple, afin d’y finir nos jours
tranquillement. Je le souhaite aussi car j’éprouve le besoin de vivre sous un
autre climat, d’absorber une autre nourriture, de jouir du calme. Nous sommes
tous les trois des gens du voyage, mais il est temps pour Gustave de changer sa
roulotte pour une vraie maison.
    Papa Rabier revient, tombe littéralement dans son fauteuil.
Il est temps que je les laisse se coucher. Nous prenons rendez-vous pour
déjeuner le lendemain et nous quittons ; eux, ravis ; moi, un peu
triste. De retour à l’hôtel, le concierge me remet une lettre que je monte dans
la chambre. Dès les premières lignes, des larmes me montent aux yeux. Alice
roule déjà vers Le Havre et me dit une nouvelle fois au revoir. Mots simples,
francs, moroses. Préférant éviter les scènes d’adieux, elle a opté pour la
dissimulation de la vérité. Elle m’assure encore de son amour sincère, regrette
que la vie soit aussi injuste, me souhaite un séjour aussi bon que possible à
Vila de Sena et me promet de revenir à la même époque dans un

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