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La canne aux rubans

La canne aux rubans

Titel: La canne aux rubans Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Grangeot
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J’agrandis les terres d’Henri de façon à ce
qu’il puisse jouir d’un domaine qui lui rapporte davantage, et envoie Julienne
prendre des cours à Angers afin qu’elle obtienne une place plus intéressante
chez son notaire.
    Georgette nous donne deux enfants, un garçon et une fille
pour la grande joie de Maman. Juliette se mariera à son tour avec le premier
clerc de l’étude et Henri épousera la fille d’un fermier voisin. Reste toujours
Frédéric que finalement je prends auprès de moi, en lui faisant suivre des
cours de comptabilité. Marie s’occupe, tel un grillon, de ma mère. J’exige
qu’elle prenne une bonne pour les gros travaux. Chacun trouve donc sa place. Je
veille au grain. La clientèle ecclésiastique me fait rencontrer des prêtres
très ouverts aux choses de la vie ; ce qui ne modifie pas mes idées, car
on me rapporte que certains autres sont allés se plaindre à l’Évêché en
apprenant mon appartenance à la franc-maçonnerie. Mon travail sans reproche met
fin aux ragots de ces baveurs qui en font les frais. Me rendant souvent à
Paris, je fréquente le cercle de la rue de Valois où je retrouve des hommes de
haute qualité morale. Un soir, un nommé Touret, architecte paysagiste, me
propose une affaire sortant de la routine. Il travaille à Deauville pour un
monsieur Davidson, de New York, qui transforme sa propriété du Quesnoy. Ayant
acquis plusieurs centaines d’hectares, ce dernier décide, par caprice, de
combler une grande pièce d’eau et de la replacer dans l’axe du château. Mais
Touret s’aperçoit qu’une jolie chapelle, datant du quatorzième siècle, se
trouverait alors dans le lit de l’étang. Il en informe son client qui lui
répond en haussant les épaules : « vous n’avez qu’à la
reculer. ».
    — Vous pensez bien, mon cher Bernardeau, que je me
trouve devant un dilemme qui dépasse mes connaissances et mes possibilités.
Qu’en dites-vous ?
    — Je ne peux me prononcer sans avoir vu sur place. Je
vous accompagne quand vous voudrez avec ma voiture.
    La semaine suivante, je me trouve sur la terrasse du
château, entre Davidson et Touret. À la droite de la future pièce d’eau,
j’aperçois un monticule assez plat et dénudé. Le sol, à première vue, me semble
pouvoir recevoir une charge. Je le fais sonder par des ouvriers, les résultats
sont encourageants. Puis je me rends à la chapelle en partie recouverte d’un
lierre énorme. J’examine des yeux et de la main les pierres de l’édifice comme
un médecin palpe un patient. Mon ongle gratte, la pulpe de mes doigts se met en
harmonie avec les matières, en recherchant les ondes émanant de leur corps.
J’évalue le poids à cent quarante tonnes.
    — Vous prenez le plante avec, me dit sans sourire le
yankee.
    — Bien sûr.
    Je déclare l’opération possible mais très coûteuse.
    — Ok. Vous donnez le prix.
    En silence, je calcule le nombre de mètres séparant les deux
endroits et vaguement les heures de travail, puis j’annonce benoîtement un
montant exorbitant.
    — Vous êtes cher, Monsieur, dit Davidson.
    — Ce sera ce prix-là ou rien Monsieur.
    — Ok. Mais attention ! je veux que tout reste
comme avant, « included » le plante.
    — Bien entendu.
    Touret est atterré. Il me prend pour un fou. Sur la route du
retour, il me regarde sans prononcer une parole.
    — Je prends ce chantier, car il me passionne. J’ai déjà
des petites idées sur la question.
    De retour dans la capitale, Touret me prête les plans cotés
de l’espace à modifier. Je reste penché toute la nuit sur ce problème qui,
petit à petit, me livre ses secrets. Je conclus à haute voix : « En
creusant tout autour, puis en faisant passer au-dessous des traverses de chemin
de fer… je pose des vérins à ces endroits… ça monte doucement, très doucement…
ma double voie de rails est prête, là… je glisse mon wagon porteur à cet
endroit, je redescends l’ensemble… Attention ! mes quatre grues aident la
manœuvre et protègent l’équilibre… On descend, on descend, on pose. On vérifie,
on consolide… On roule la chapelle comme une mariée… Les rails passent par le
chemin qui a été prévu à l’avance… Tout vient lentement… On arrive. Même
manœuvre à l’inverse en ayant préparé le socle. Les grues sont là, là, là, et
là. On dépose la pièce de musée et on comble. Ah ! ne pas oublier le trou
pour les racines du lierre… ici. Mille Dieux ! un

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