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La canne aux rubans

La canne aux rubans

Titel: La canne aux rubans Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Grangeot
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des chéquiers. Trois ont été arrachés. Je téléphone à ma banque qui
me répond qu’un monsieur est venu toucher trois chèques très importants.
D’après la description, je comprends que c’est mon frère Frédéric.
    Le caissier de ma banque me confirme ce que je prévoyais. À
la caserne des Petites Écuries de Versailles, j’ai un entretien avec le
capitaine Bourgeois qui, très aimablement, ouvre une enquête rapide. Frédéric
s’est bien présenté pour l’enrôlement mais a disparu tout aussitôt. La
gendarmerie militaire le recherche.
    — Laissez-moi un numéro de téléphone afin de vous
toucher dès que nous lui mettrons la main dessus.
    Revenu à Paris, je me dirige vers la Cayenne, rue Mabillon.
La Mère m’embrasse et me promet de voir le Rouleur pour qu’il m’envoie des
compagnons non mobilisables.
    Sur la route du retour à Montargis, un jeune chien tout fou
se jette sous les roues de ma voiture. Je freine, me déporte, m’arrête et
ramasse cette bête qui hurle de douleur, puis se calme un peu et me lèche la
main. La pitié m’envahit. Je le couche doucement sur la banquette et me rends
chez le vétérinaire de Montargis qui, par chance, est encore là. Il examine le
chien.
    — C’est un beau bâtard de Terre-Neuve, sans doute abandonné.
Qu’est-ce que je fais, je le pique ?
    La mort représente pour moi une fin inexorable, mais
personne n’a le droit de la donner. Je regarde les pauvres yeux de ce cabot qui
ont l’air de me supplier de l’épargner.
    — T’inquiète pas, bonhomme, le docteur te soignera.
Qu’a-t-il exactement ?
    — En l’examinant bien, sa patte arrière est démise,
peut-être cassée. Je la lui banderai très serrée, mais pour la nuit vous lui
donnerez un peu de large. Veillez à ce qu’il ne fasse pas d’effort. En principe
à son âge, à peu près six à sept mois, tout doit s’arranger. Donnez-lui dans sa
soupe une cuillerée à café de cette poudre. À mon avis, il trottera dans une
quinzaine.
    Revenu à la voiture, je le couche doucement à côté de moi.
Il veut se relever.
    — Couché ! Drôle. Sage !
    Son nom m’est venu aux lèvres sans réfléchir. C’est ainsi
que l’Ours m’appelait, que papa Rabier me nommait plus rarement.
    — Tu es « Drôle », mon chien perdu qui a
rencontré un homme un peu perdu aussi. Dorénavant nous partagerons notre
solitude. Ce sera moins lourd à porter.
    Drôle me lèche la main, ferme les yeux, les entrouvre d’un
regard malin. Si je ne voulais pas passer pour un original, je dirais qu’il me
sourit en remontant les babines sur le côté. À la maison, Maman et Marie venant
d’arriver, me demandent des nouvelles des jeunes. Je tais sciemment la folie de
Frédéric en leur contant mes démêlés avec le service de santé de l’armée. Marie
prend en charge Drôle qui semble s’adapter très bien à ces têtes inconnues.
Deux jours plus tard, je reçois un coup de téléphone de Bourgeois qui m’annonce
qu’on vient de retrouver Frédéric. Il mijote maintenant dans un cachot.
    — Puis-je le voir mon capitaine ?
    — Cela n’entre pas dans mes compétences, mais le
général Lamotte désire vous rencontrer pour tout autre chose. Une fois dans son
bureau, vous lui demanderez cette faveur.
    — Bien, merci, dites-lui que j’y serai demain vers onze
heures.
    À l’heure exacte, grâce à ma Torpédo Lorraine Dietrich qui
ne me cause pas d’ennui, Lamotte me reçoit presqu’à bras ouverts. Seuls dans
son bureau, nous bavardons comme des frères.
    — Que d’événements se sont succédés depuis la mort de
ton père.
    — Oui, Rabier nous a quittés, tu as su ?
    — Trop tard pour que je puisse me rendre à Grasse. Je
voulais te voir car les Allemands avancent et nous ont mis, à peine en un mois,
dans une situation très grave. L’armée belge se replie pour se réorganiser. Il
faut en loger une partie. Il y a quelques jours, à l’état-major, on se
demandait comment et à qui confier le tour de force de construire deux cents
baraquements sur le terrain du camp d’Auvours, situé à dix kilomètres du Mans
sur la commune de Champagné où nous devrons abriter près de dix mille hommes.
Il faudra également prévoir des bâtiments pour les réserves, cuisines,
l’hôpital, etc. Bref, une petite ville. Qu’en penses-tu ? Nous donnons
quatre mois pour réaliser ce tour de force.
    Je réfléchis un moment, puis me lance dans cette gageure.
    — Compte sur

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