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La canne aux rubans

La canne aux rubans

Titel: La canne aux rubans
Autoren: Jean Grangeot
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jour de l’an 1921 à Paris. Je prends une
chambre à l’hôtel du Louvre, comme papa Rabier, et de mes fenêtres je regarde
les jardins des Tuileries où les arbres dénudés ressemblent à des sentinelles
veillant sur des pelouses mortes. Je n’ai pas voulu retourner à Montargis, ni à
Saint-Aignan. Ma famille a dû se réunir et mes neveux attendre le père Noël.
J’expédie une lettre à ma sœur Marie avec un mandat, à charge pour elle de
répartir la somme comme elle voudra. On me monte les repas dans ma chambre,
mais je n’y touche guère. En revanche, je parle à mes ombres, comme je les
appelle, c’est-à-dire tous ceux qui peuplèrent mon passé. Si on m’entendait, on
me prendrait pour un déséquilibré et une place à l’asile de Charenton me serait
réservée. J’ai essayé de sortir le soir, mais je ne sais où aller à l’heure où
chacun se retrouve parmi les siens. Que faire hors me confiner dans la solitude
en compagnie de mes fantômes ?
    Mes frères maçons s’inquiètent et passent me voir.
Lecourtois se dérange pour me secouer les puces. Il m’assure avoir, avec
quelques amis, organisé « mon évacuation thérapeutique ».
    — Tu dois changer d’air, d’habitudes, de cadre de vie.
C’est indispensable, Adolphe. Si tu ne le fais pas pour toi, fais-le pour nous
qui t’aimons. Demain après-midi, tu pars pour Genève. Face au Mont-Blanc tu
réfléchiras. Voilà ton billet, ton hôtel est retenu. Laisse-nous faire,
écoute-nous, écoute-moi. Nous nous chargeons de tout. Écris-moi, je te
répondrai toujours. Viens que je t’embrasse et ne m’oblige pas à revenir ici.
Prépare tes affaires ! Une autre vie t’attend.
    Lecourtois, s’aidant de sa canne, quitte ma chambre et en
claudiquant gagne la cage de l’ascenseur. Il disparaît lentement tandis que ses
yeux plongent dans les miens avec tendresse et vigueur.
    Le soir, je fais mes bagages, règle l’hôtel, passe à la
banque. Je ne peux plus reculer. Il a peut-être raison après tout ! Des
amis conduisent au train pour Genève un homme écœuré, fatigué, dépressif. Je
quitte la France avec le sentiment que je n’y reviendrai plus, qu’on me
déporte. Je ne puis m’empêcher de penser à toutes les expériences que j’ai vécues
et qui ne serviront à personne, car c’est à chacun de nous d’engendrer et de
vivre les siennes propres.

 
XII
    Vers dix heures du matin, à mon arrivée en gare de Cornavin
à Genève, deux frères suisses se font reconnaître discrètement. Bernier est un
solide, gaillard. Petitot, marchant entre nous, ressemble à un adolescent que
nous menons à l’école. Par la rue du Mont-Blanc, nous prenons le quai portant
le même nom jusqu’à un hôtel. Une mince couche de neige nappe la ville. Les
grandes fenêtres de ma chambre s’ouvrent sur le lac. En me laissant là, muet,
assis au fond d’un fauteuil, Petitot me dit avec son accent traînard :
    — Nous repasserons ce soir voir si tu as besoin de
quelque chose.
    Mais en vérité je n’ai besoin de rien, vraiment de rien. Je
reste prostré et me mets à pleurer comme un enfant. Je ne sais même plus où je
suis, pourquoi je me trouve ici et ce que j’y viens chercher. Le sommeil me
gagne, mes frères me retrouvent le soir dans la même position, les yeux rivés à
un tableau accroché au mur représentant un chalet de campagne dans un paysage
de neige.
    — Peux-tu venir avec nous, Adolphe, rencontrer le
président et quelques-uns de nos amis ? me demande Bernier.
    — Veux-tu boire ou manger quelque chose ? me
propose Petitot ou préfères-tu que nous fassions passer un docteur pour qu’il
t’examine ?
    En me relevant avec difficulté de mon fauteuil, je leur
réponds en esquissant un pauvre sourire :
    — Je vais descendre marcher un peu, puis remonter me
coucher, si cela ne vous ennuie pas. Je préférerais remettre à demain ou
après-demain la visite que vous me proposez, car je n’ai pas envie de faire
piètre figure.
    — Comme tu voudras. De toute façon, l’un de nous
passera tous les jours prendre de tes nouvelles. Nous allons descendre avec
toi, dit gravement Bernier.
    — Tu as besoin de beaucoup de repos, renchérit Petitot.
    Lentement, durant les jours qui suivent mon arrivée, je
découvre les abords de mon hôtel. Je fais la connaissance avec le square du
Mont-Blanc, puis gagne la promenade Saint-Jean. D’autres fois, je franchis le
Rhône et marche dans les allées du jardin anglais. Je
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