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La canne aux rubans

La canne aux rubans

Titel: La canne aux rubans Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Grangeot
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pont de chemin de fer sur
la Loire. Je termine un chantier d’école à Druye, mais la semaine prochaine la
route m’attend.
    — Nous, on est à Azay, au château ; je vais lâcher
pour venir avec toi. Il y a un mois de cela je me trouvais aussi sur ton
chantier, mais des histoires me sont arrivées. Figure-toi… qu’un soir je vais
chercher du tabac et le buraliste me voyant me répond : « Y’a plus de
tabac ». Alors moi, qui en avais un petit coup dans le nez, je ressors,
fais dégringoler l’enseigne et hurle en secouant le propriétaire :
« plus de tabac… plus d’enseigne ». Il porte plainte. Les gendarmes
sont venus et on m’a prié de quitter le patelin.
    Beauceron aurait continué ses histoires jusque tard dans la
nuit, mais je tiens à rentrer à Druye avec Bourguignon.
    — Il faut qu’on se quitte mon coterie. Dimanche
prochain je reviendrai et tu me conteras tes histoires. Et puis on sera libres,
nous partirons tous les deux pour Saumur. Viens que je t’embrasse encore une
fois… Ah ! que cette semaine va me paraître longue. Arrive tôt. N’oublie
pas, mon louveteau !
    Le dimanche suivant, levé de très bonne heure, je rejoins
Beauceron l’Ours qui ne pouvait être qu’à l’auberge. Il bondit sur moi,
m’embrasse, me cajole, m’écrase un peu puis se calme.
    — Alors mon louveteau, tu es libre ?
    — Oui j’ai touché mon salaire, réglé mes dettes et reçu
mon livret d’ouvrier.
    — Bravo, mon fils. Ton premier livret. Ça s’arrose.
    Je n’ai jamais eu l’habitude de boire ; mais Beauceron
boit pour deux et les litres défilent sur la table.
    De sa grosse voix, il me raconte tout ce qui lui est arrivé
depuis qu’il a quitté mon père. Fait prisonnier à Metz, il part à Potsdam, puis
se révolte. Condamné à quatre années de forteresse, il doit son évasion à un
officier teuton qui remarque son tatouage à l’épaule droite : un dessin
représentant une femme symbolisant la science et tenant à deux mains une
équerre entrelaçant un compas. Les frontières s’effacent devant certaines
allégories. Il passe par Hambourg, travaille chez le père de l’officier,
constructeur de bateau. Puis il gagne Anvers et revient en France. Il rencontre
Bayonnais l’Hercule à Dijon. Ils trimardent ensemble, puis se séparent.
Beauceron descend jusqu’à Bourges où il ne trouve pas de travail, attendu que
tous les singes sont Soubises [4] .
    Toutes ces histoires m’abasourdissent. Mon brave Ours n’arrête
pas. Cela lui donne soif. Les litres défilent. Moi j’ai faim. Je lui demande en
souriant :
    — On ne pourrait pas casser une petite croûte ?
    — Bien parlé, Blois.
    Il appelle la patronne et lui demande de nous servir.
    Beauceron, les yeux exorbités me regarde avaler seul trois
potages, deux poulets délicieux en sauce, des grandes assiettes de haricots.
    — Bien ! mon louveteau, il ne faut pas t’en
promettre, mais t’en donner. As-tu encore un petit creux ?
    Je ne sais que répondre et rougis comme une fille.
    — Patronne, hurle l’Ours, mon louveteau voudrait goûter
à une de vos bonnes terrines.
    On m’apporte un gros pâté entier accompagné d’un pain de
trois livres. Alors je me délecte tranquillement devant mon coterie et laisse
la terrine vide et bien léchée.
    — Faut que je te conte aussi l’affaire du tribunal à
Paris. Figure-toi que je m’étais fait une copine, la Catherine, une grande
bringue aux cheveux blonds filasse retombant sur un front petit, le tout
réveillé par de belles lèvres comme je les aime. Le bonheur régnait entre nous
deux. Elle travaillait comme laveuse dans une blanchisserie. Le soir, après le
turbin, nous buvions notre verte et allions ensuite croûter dans un troquet.
Tout allait bien. Je turbinais à ce moment-là chez le père Renault, un
spécialiste en battage des pieux et en sapines.
    — Tu ne sais pas encore ce que c’est que des
sapines ? Ce sont de grands échafaudages que l’on édifie à chaque
construction. Ils servent à monter les matériaux à l’aide d’un treuil Bernier.
Le chantier se trouvait à Grenelle. Or un jour me voilà t’y pas cité comme
témoin dans une affaire d’accident, survenu à Auteuil. Nous grimpions des
pièces de bois à la chèvre située au sixième étage. Figure-toi qu’à un moment
le Renard, c’est-à-dire un compagnon qui fait seul son Tour de France, lâche le
levier, et la pièce de bois dégringole sur un compagnon Soubise.

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