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La canne aux rubans

La canne aux rubans

Titel: La canne aux rubans Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Grangeot
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reprenant son souffle juste
pour vider son verre et le remplir à nouveau. Des mots arrivent ouatés à mes
oreilles. Le temps passe et Beauceron ne s’aperçoit pas que je dors. C’est un
rire énorme qui me réveille. Je secoue la tête, ouvre les yeux et entends mon
Ours poser la question :
    — Maintenant que vas-tu faire ?
    Les idées me reviennent rapidement. Je réponds d’une voix
que je veux ferme :
    — Tout simple. Je pars pour Saumur, et ce le plus
rapidement possible pour y voir Monsieur Rabier qui me donnera du travail. Je
l’ai rencontré à Tours à la Saint-Joseph.
    — Il se fait tard, mon louveteau. Moi je t’accompagne,
je ne te lâche plus. Mais passons par Langeais. Je te ferai connaître le père
Berger dit l’Angevin Tréteau. Un compagnon merveilleux. Son nom vient de ce
qu’il est court sur pattes avec un torse énorme. Lorsqu’il porte une charge sur
les épaules, on ne peut pas le faire tomber ni même l’ébranler.
    Ce nom me rappelle ce que mon père m’avait raconté. Ce
maître charpentier au cœur d’or traitait bien les compagnons qui passaient le
saluer.
    Beauceron se lève, va régler l’aubergiste et nous sortons.
Que l’air fait du bien ! Une bonne marche me remet en forme. J’ai à
nouveau faim mais ne dis rien à mon coterie qui chante des refrains
compagnonniques pour rythmer nos pas. Moi je suis comme un oiseau qui s’ébroue,
et prend petit à petit la mesure de ses ailes.
    Un accueil splendide, chaud, fraternel nous attend à
l’arrivée chez l’Angevin Tréteau. Nous nous donnons les accolades d’usage et il
nous invite à passer à table. Les jattes de rillettes voisinent avec les
fromages de chèvre en « bondon ». Deux gros lapins mijotés au vin
rouge font leur apparition. Chacun mange à sa guise et à son goût, moi je
prends et reprends de tout. De gros cruchons de vins blancs et rouges aident
agréablement à pousser cette nourriture délicieuse. Nous sommes joyeux.
L’Angevin et Beauceron se racontent des histoires. Moi je les écoute, ravi.
Tard dans la nuit nous nous plongeons dans des lits moelleux. Après un sommeil
réparateur nous nous retrouvons le lendemain matin devant le tue-ver.
    Comme nous allons quitter la maison, l’Angevin demande à
l’Ours :
    — Si j’osais te demander de me passer juste un coup de
main pour monter une charpente à l’entrée du village.
    Beauceron fait semblant de se fâcher et répond :
    — Mais pourquoi tu me demandes cela maintenant, alors
qu’hier on aurait fait ça en moins de deux. Tu sais bien que je ne puis rien te
refuser. Je te prête mes épaules et petit Blois prendra sa part.
    Vers une heure de l’après-midi, le travail est fait et nous
nous rasseyons pour déjeuner. Entre deux bouchées l’Angevin me parle de mon
père :
    — C’est peut-être le meilleur d’entre nous. Dans tous
les cas le plus savant. Sais-tu, mon louveteau, qu’il a dirigé les travaux du
chef-d’œuvre de Bordeaux. Mais, vois-tu, il n’a commis qu’une erreur dans sa
vie : celle de s’embourber à Saint-Aignan. Ton père est un vrai singe pour
les grands chantiers. Je connais tous les pièges de ces gros villages où un
homme libre dans ses pensées ne peut que vivoter. Les curés et les châtelains
font la pluie et le beau temps. Si on ne pense pas comme eux : on n’a pas
le droit de travailler. La dernière fois que nous nous sommes vus à Tours, je
lui ai dit tout ça. Il a hoché la tête, a acquiescé et m’a simplement
répondu : oui tu as raison, mais c’est trop tard. Je lutterai seul pour le
principe et défendrai nos idées.
    J’écoute cet homme en me promettant de me souvenir de ces
paroles.
    — Ton père a l’âme d’un meneur d’hommes. Son travail
scrupuleux tend vers la perfection. Ta mère est magnifique de gentillesse et de
bonté. Si tu as choisi le parti de la liberté, jeune Blois, ne reviens jamais
sur tes pas. Avance toujours droit devant toi. Tout gosse doit faire mieux que
son père. Cela ne te sera pas facile, mais tu as le temps avec toi.
    Beauceron vide son verre, nous nous levons et nous donnons
une accolade fraternelle sans nous remercier. Chez les compagnons cela ne se
fait pas. On échange, ou on donne tout simplement. Nous arrivons le soir à
Bourgueil et allons directement chez Tourangeau Bon Cœur. Cette nouvelle halte
me montre combien l’esprit compagnonnique est grand et profond. Nous nous
sentons chez nous partout. Ce frère, moins à son aise

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