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La canne aux rubans

La canne aux rubans

Titel: La canne aux rubans Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Grangeot
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voisin, pour gagner
quelques sous qui ne pouvaient satisfaire les besoins de mes six frères et
sœurs. De plus, les études plus poussées restaient du domaine de
l’impossibilité. Les mots cinglants : « Toi, tu ne feras jamais
rien », m’apparaissaient comme un défi qu’il me fallait relever, pour
prouver à mon père qu’il se trompait sur mes possibilités et mon courage.
Lui-même n’était-il pas parti à quatorze ans, laissant ses parents et ses onze
frères et sœurs ?
    Bourguignon interrompt le fil de mes pensées à notre arrivée
à Azay-le-Rideau.
    — Tu sais, Adolphe, je crois que je ne serai pas en
retard à la messe. Viens donc avec moi, que vas-tu faire pendant tout ce
temps ?
    — T’inquiète pas mon gars, j’ai de quoi m’occuper.
Retrouvons-nous dans la cour du château ; je t’y attendrai.
    À quelques centaines de mètres de nous, l’église nous
présente sa face carolingienne. Pour exécuter mes croquis, je n’ai que
l’embarras du choix. Quelle richesse ! quelle beauté ! quel travail
merveilleux ! Je me passionne pour tout et je ne vois pas le temps passer.
Bourguignon me rejoint lorsque je dessine le pont passant au-dessus de l’Indre
pour relier la terre à l’île d’où jaillit le château.
    Mon camarade essaie de reproduire une tour, et comme ses
connaissances sont maigres il me demande de l’aider. Au début j’ai de la
patience ; mais mon estomac commence à me travailler.
    — Allez viens, lui dis-je, on va manger quelque chose,
je n’en peux plus.
    Nos pas nous conduisent vers une sortie de la ville et en
passant devant une auberge, mon oreille est attirée par un chant que je
connais. Une grosse voix se détache, plus puissante. Sans réfléchir je pénètre
avec Bourguignon dans la grande salle. Trois gaillards assis autour d’une
table, le verre à la main, terminent leur chant :
     
    Mais un beau jour, fatigué du
voyage,
    Me reposant sur le bord du
chemin,
    Canne en main regardant le
village,
    Je me disais : qu’il est
beau d’être Indien.
    Quand vinrent à moi trois
terribles adversaires,
    Trois chiens fainéants m’ont demandé
mon nom,
    Je leur réponds : Les
Indiens sont mes frères,
    Ce sont les enfants du grand roi
Salomon.
     
    L’un de ces hommes, imposant comme une guérite, se lève et
vient à moi. Il pose sur mes épaules ses mains énormes, me fixe du regard et
brusquement de sa voix de stentor éclate :
    — Toi je te reconnais. Nom de Dieu ! tu es le
gosse, son gosse. Tout le portrait de son père. Présente-toi pour voir si je ne
me goure pas.
    Très impressionné, mais ne voulant pas le paraître, je
réponds :
    — Je suis le fils de mon père : Blois La Science,
mais je ne fais que passer par ici pour dessiner des coupes de pierres.
    Le géant me prend dans ses bras, me serre à m’étouffer. Sa
voix vibre et des larmes inondent ses joues. Il répète :
    — C’est mon petit, celui-là, comme mon fils. J’ai joué
avec toi. Tu venais dans la soupente me regarder tirer les traits.
    Puis s’adressant à ses compagnons :
    — Beauceron l’Ours a retrouvé son enfant. Regardez
comme il est grand, fort. Il paraît dix-huit ans… et puis attention la
coterie ! c’est un gosse extrêmement intelligent et capable. Il deviendra
aussi fort que son père, un maître incontesté qui m’a fait compagnon du Tour de
France au second degré.
    Il continue en me fixant :
    — Seulement vois-tu, mon gars, je ne m’aventure plus
trop loin, car c’est dans la Touraine où le vin est le meilleur. Ah ! que
je suis fier et heureux de t’avoir revu. Quelle grande journée ! On va
arroser cela. Tu trinques avec nous Blois et, ton coterie qui t’accompagne,
également.
    Lorsque je demande à Beauceron pourquoi il m’appelle Blois,
il me relate le vœu de mon père, le jour de ma naissance.
    — C’est pas un secret, tu as le droit de porter ce nom
et sois-en digne. À propos ton père est avec toi ?
    Alors je lui raconte ma vie et mon départ de la maison, lui
demandant de ne rien dire à mon père.
    — Tu me mets dans une drôle d’embrouille, petit. Je te
le promets jusqu’à ce que tu fasses ta première bêtise grave. D’ailleurs on ne
se quitte plus tous les deux. D’accord ? Mais où travailles-tu ?
    Les autres bavardent en vidant des fillettes. J’en profite
pour l’entraîner dans un coin plus calme et lui dis que je sais qu’il y a du
gros travail à faire à Saumur pour la construction du

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