La canne aux rubans
Mort sur le
coup le pauvre gars. En bouillie. Le commissaire de police vient faire le
constat ; puis l’affaire en arrive au tribunal. Tu vas rigoler. Je n’avais
pas l’habitude de cette grande salle avec des stalles comme dans une écurie.
Les juges portaient des petites bêtes sur les épaules et des toques comme les
cuisiniers, à part qu’elles étaient noires. Le président me demande mon nom et
je réponds :
— Beauceron l’Ours.
Sur le moment rien ne se passe.
— Vous jurez de dire la vérité, toute la vérité, rien
que la vérité, dites je le jure.
— Je le jure, mon président.
— Votre nom est bien Monsieur Bourseron me demande-t-il
hésitant.
— Non, mon président, pas Bourseron, mais Beauceron
l’Ours.
— Votre prénom est Ours… mais ça n’existe pas.
Expliquez-moi.
— C’est mon nom de compagnon du Tour de France.
Le président s’affole, hésite, se fâche.
— Vous avez bien un vrai nom à l’état civil ?
— Oui c’est Dubois Alcide. Mais je préférerais que vous
m’appeliez par mon nom de compagnon, je saurais que c’est à moi que vous voulez
parler, mon président.
Le juge hausse les épaules, fait un geste de dépit, et
enchaîne :
— Voyons, Beauceron, veuillez expliquer au tribunal
comment cet accident est arrivé.
Alors là, mon gamin, j’ai craché le morceau !
— Voilà, c’est simple. On avait amené un veau avec le
diable. Le Renard et le Loup l’on amarré à la chèvre. À un moment donné le
Renard a lâché son levier et le veau est tombé sur le chien, a foutu le lapin
par terre et notre singe n’était pas là.
Le président restait coi. Il se pencha vers sa gauche pour
dire à son sous-juge :
— Cet homme n’a pas toute sa raison. Comprenez-vous
quelque chose ? Qu’est-ce que c’est que cette bande d’animaux ?
— C’est intraduisible, Monsieur le président, lui
répondit l’autre. Le juge me regarda et fort en colère me lança furibond :
— Vous vous payez la tête du tribunal, témoin Dubois.
Vous êtes un menteur ou un fou.
Ma Catherine présente dans la salle se leva d’un bond et
lança tout fort :
— Mon homme n’est ni fou ni menteur, vous ne comprenez
rien.
La salle rigolait. Le président tapait sur la table avec son
maillet. Moi je restais cloué sur place et je me fendais la pipe. Heureusement
un avocat a expliqué, a traduit si tu préfères, mes mots. On me renvoya
m’asseoir ; mais j’ai pris le bras de la Catherine pour filer prendre une
bonne cuite. Heureusement, j’y songe encore, que Bayonnais l’Hercule n’était
pas là, car on allait tout droit au trou. À quelques semaines de là, voilà t’y
pas qu’un coterie, un Gascon, qui dînait souvent avec nous le soir, veut se
taper ma femelle. Elle m’avoue la combine en me déclarant que le beau type
crâneur, aux cheveux coupés à la Capoule [5] méritait une leçon. Je
réfléchis un moment et trouve la solution. Elle lui donne rendez-vous dans
notre chambre, se couche sous le lit et moi dedans. Le bellâtre se ramène à
l’heure dite, se déshabille en me racontant des fadaises amoureuses. Il se
couche et veut tout de suite me caresser le puits d’amour. Je me lève d’un bond
et lui fout une trempe à le guérir pour un moment. Catherine, sortie de dessous
le sommier assistait en culotte à la valse. Elle avait apporté son battoir du
lavoir et me passait un coup de main sur tout ce qui dépassait du gars. Tu vois
où je veux en venir. Je lui ai fait descendre l’escalier comme si celui-ci
n’avait qu’une marche. Débarrassé de ce zigue on s’est pagé tous les deux, ma
Catherine et moi, pour passer de bien doux moments. On a bien fait d’en
profiter. Là-dessus j’ai été faire un petit chantier près de Compiègne. Ça n’a
duré qu’un mois. Quand je suis revenu : plus de Catherine. Ses voisins
m’ont annoncé qu’elle avait été emmenée à l’asile de fous. Tu parles d’un choc !
Un surveillant ne m’a pas laissé beaucoup d’espoir. La Catheriene était saoule
du matin au soir, ça lui avait tapé sur le « caberlot ». Elle se
trouvait dans les salles spéciales qu’on ne visite pas. J’ai eu de la peine, tu
sais. La pauvre fille a rendu son âme au ciel un mois après ma visite.
En écoutant ces flots de paroles, la digestion se faisant,
le vin accentuant ma fatigue, mes paupières se ferment lentement. Beauceron
enchaîne les histoires les unes derrière les autres
Weitere Kostenlose Bücher