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La canne aux rubans

La canne aux rubans

Titel: La canne aux rubans Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Grangeot
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jolies
filles dont certaines n’ont pas froid aux yeux. Si elles se doutaient que je
n’ai que treize ans et demi ! Une certaine Bernadette veut m’apprendre à
danser. Au début je refuse. Elle éclate d’un joli rire devant mon attitude
gauche et réservée. Tant pis il faut se lancer. J’ai peur d’écraser sa taille
de guêpe avec mon bras gauche et de lui faire mal. Patiente, douce, Bernadette
me dirige. Moi, ourson mal léché, j’hésite, arrive en retard sur la musique.
Cette fille sent bon ! Une sorte de parfum léger de fleurs qui se marie
fort bien avec celui de la petite sueur qui perle à son front et dans son cou
gracile. Il me semble découvrir un être différent auquel je n’ai jamais prêté attention.
La femme, la seule que je connaissais, était ma mère. En dehors de celle-ci, je
ne m’intéressais à aucune. À tout avouer je regardais même les autres avec
dédain, presque dégoût.
    Bernadette me demande dans combien de temps je ferai mon
service militaire. Cette question me remplit d’orgueil ; mais ne voulant
pas lui mentir, je lui réponds simplement : plus tard.
    Le père de la mariée invite la société à passer à table.
Beauceron me fait signe de le rejoindre. Il me faut quitter Bernadette, son
charmant minois, ses boucles brunes et son petit nez. Elle va se placer à côté
d’un gros rougeaud qui me la cachera durant tout le repas.
    La chère est très bonne. Charcuterie, poissons, trois sortes
de viandes, des canards,… Le vin coule comme l’eau les jours de grandes pluies.
Beauceron mange, boit ; parle, boit ; rit, boit ; fait des
grimaces, boit. Le père de la mariée me dit quelques mots aimables au sujet de
mon père qu’il connaît bien et apprécie. Les voix fortes des hommes grondent
comme un orage permanent dans cette salle au plafond bas. Les gosses quittent
souvent la table pour jouer, se disputer, hurler, pleurer.
    Beauceron se penche subitement pour ramasser sa grande
serviette blanche et s’aperçoit que beaucoup de pieds ont quitté leurs
chaussures pour prendre leur aise. Une idée diabolique lui traverse l’esprit.
Il se lève et chuchote à l’oreille de trois gamins des mots qui provoquent
leurs éclats de rire. Puis se rasseyant calmement il reprend la conversation.
Quelques temps après, les jeunes et les couples les plus mûrs veulent retourner
danser. Des rires énormes, des petits cris pointus, des jurons couvrent alors
les conversations. En remettant leurs chaussures, les invités comprennent qu’on
leur a préparé un bain de pieds. Les gosses engagés par Beauceron ont réussi
leur blague !
    La soirée s’avance, il se fait tard. Les musiciens jouent
avec moins d’entrain tandis que les mariés ont disparu. Mais déjà les jeunes
s’organisent pour les retrouver et leur faire quelques niches et aubades.
Saint-Nicolas-de-Bourgueil, cette nuit-là, a peu dormi. Je trouve une grange
dont la porte est ouverte. Le premier coin de paille me sert de lit. Je
m’effondre comme une masse. Les cloches de l’église mettront fin à mon sommeil.
Une fontaine me permet de procéder à une petite toilette avant de partir à la
recherche de mon coterie.
    Bien entendu je le retrouve assis à l’auberge mangeant et
buvant avec le beau-père comme s’il venait d’arriver.
    Enfin nous nous quittons, après des adieux fraternels et
sincères.
    — Saluez pour moi Guépin la Vertu ! Et toi, petit
Blois, écoute bien ce qu’il te dit. Tu ne peux être entre de meilleures mains.
    Notre route traverse Allonnes, la Ronde, le Fleuret. Nous
arrivons enfin à Saumur.
    Je ne sais pourquoi une joie intense m’inonde. Saumur va marquer,
je le ressens, un grand tournant dans le début de ma vie de labeur. C’est là
que je vais acquérir mes plus grandes bases.
    — Nous y voilà, enfin, dis-je à Beauceron qui
m’entraîne à l’auberge de la Croix Verte goûter le vin du pays. De loin j’aime
cette ville. Les compagnons y sont-ils nombreux ?
    — Ben ! mon louveteau, faut que je te dise qu’on
distingue deux sortes de villes : celles du Devoir et les Bâtardes. Tout
est fonction de l’importance de leur population et de leur rôle historique et
politique ; et aussi suivant la corporation. Par exemple pour nous les
charpentiers, Saumur est bâtarde car nous n’y avons pas déposé nos « Codes
compagnonnaux ». De même il n’existe qu’une Cayenne mineure. Tandis que
Tours est pour nous une ville du Devoir avec tout ce qui s’y

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