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La canne aux rubans

La canne aux rubans

Titel: La canne aux rubans Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Grangeot
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fleurs mêlée à la petite
sueur qui perlait dans son cou.
    Beauceron se fait de plus en plus rare. Je ne lui pose pas
de questions ; j’attends qu’il se confie à moi. Bien évidemment, c’est ce
qui se produit.
    — Mon petit Blois, faut que je te parle. Je t’ai peu vu
ces temps-ci ; mais je ne me reconnais pas moi-même. Pense donc que jamais
de ma garce de vie je ne suis resté aussi longtemps sur le même chantier. Cela
est la faute ou le bonheur d’une toute petite bonne femme de trente-deux kilos
et d’un mètre quarante : La Marianne. Tu n’es pas sans savoir que je passe
par la rue de la Fenêtre pour aller me faire ramollir un peu plus loin. Je
vois, à chaque fois, toujours devant la même porte, sur la même chaise, une brunette
qui enfile ses grains de chapelet. Tu me diras « pourquoi elle et pas une
autre ? » c’est ça la vie, gamin. Un soir de cet été voilà t’y pas
que mon pied bute contre un pavé. Me voilà par terre juste devant elle. La
petite se lève, fait tomber ses grains et se précipite pour m’aider à me
relever. Moi, furieux, je jure une bordée de « Nom de Dieu » et la
repousse. Elle reste là, posant sur moi un regard de jeune chien pris en faute.
    « Pardonnez Mademoiselle, que je lui dis. Beauceron n’a
besoin de personne pour se remettre debout. »
    Ma cheville me fait très mal. Je veux continuer ma route,
mais je boite fort.
    « Entrez donc une minute, Monsieur ; j’ai de l’eau
chaude. Avec une poignée de sel dans une cuvette, vous tremperez votre pied et
la douleur s’envolera. »
    Je crois que c’est ce mot qui a tout déclenché :
Envoler. Sa petite taille, sa frimousse, sa voix, sa gentillesse, bref tout ce
fatras de je-ne-sais-quoi… Sans m’en rendre compte, j’ai dit merci, suis entré,
ai trempé mon pied dans l’eau chaude salée. Mes yeux ne s’attachaient à rien
autour de moi ; mais uniquement à elle. Je restais muet, pétrifié, idiot.
    — Et ta cheville ?
    — Elle se comportait comme moi dans un rêve, je ne
sentais plus rien.
    Marianne, pendant ce temps, est ressortie pour ramasser ses
grains qui lui sont comptés, s’il te plaît ! La porte ouverte, je voyais
son petit corps souple comme un roseau, se baisser, se redresser, se
pencher ; sa bouche compter ses grains dans le creux de sa main. Je ne
savais plus où j’en étais. Elle est revenue, avec ce sourire angélique sur ses
lèvres rouges cerise et m’a demandé :
    « Vous allez mieux, Monsieur ? »
    « Oui, que je lui réponds, je vais vous laisser ;
vous avez du travail et moi il faut que je rentre. Demain je commence une heure
plus tôt. » C’était pas vrai ; mais que voulais-tu que je trouve à
répondre ?
    Le lendemain j’allai chercher un gros gâteau et une
bouteille de Layon ; puis je la retrouvai penchée sur son chapelet. En me
voyant, elle a tout remis dans la toile posée sur ses genoux et m’a fait asseoir
à l’intérieur, devant sa table de poupée.
    Voilà mon histoire, mon petit Blois ; toute bête, toute
simplette. Depuis, je ne vais plus au claque ; je suis heureux comme
l’empereur de toutes les Russies. Alors me voilà partagé entre Marianne et
l’envie de reprendre la route. De toute façon, je vais avec toi à Nantes pour
ton initiation au grade de compagnon. Rien ne pourra m’en empêcher ;
Marianne l’a bien compris du reste. Mais elle évite de m’en parler. De Nantes
je pourrais descendre sur Torrécharente où l’on va reconstruire le pont, ou sur
Rochefort pour exécuter des travaux dans le bassin. Ce sont les ingénieurs
Vigné et Rigault qui commandent… Je les connais bien. Je ne sais que
faire ?
    Beauceron gratte son pois chiche si fort qu’une gouttelette
de sang apparaît.
    — Pour le moment une seule chose a de l’importance, mon
petit gars : tes épreuves en loge.
     
    Le mois de mars est arrivé sans que je m’en aperçoive
vraiment. Nous sommes partis quelques jours avant, Beauceron et moi, pour
arriver sur place, à Nantes, le 18 au soir.
    Je me sens très nerveux, mal à l’aise et j’ose l’avouer
presque peureux. Comment les choses allaient-elles se dérouler ? Ma
mémoire ne me lâcherait-elle pas ? Beauceron m’a fait répéter certains
mots, quelques expressions, sans rien me laisser entendre au sujet du pourquoi
de chaque réponse. Je pressentais des choses sans pouvoir en connaître les
clés.
    Le matin du 19 mars un pâle soleil éclaire les murs gris
nantais. Je

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