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La canne aux rubans

La canne aux rubans

Titel: La canne aux rubans Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Grangeot
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avancent les bras chargés de bouteilles de champagne, et
de paquets de victuailles. Un lieutenant de dragons porte des pains de fantaisie
très longs. En passant à côté de Beauceron, il lui effleure le nez avec le
croûton de l’un d’eux en disant :
    — Tu en veux du pain ?
    La réaction de mon Ours ne se fait pas attendre. Le revers
de sa grosse patte claque sur la joue de l’officier en lui répondant :
    — Tiens voilà de la viande, tu mangeras ça avec ton
pain.
    On peut se douter de ce qui s’en suit. Bouteilles, poulets,
fruits, pains, gâteaux jonchent le sol. La rue se vide comme dans un rêve. Le
claque met sa chaîne de sûreté. Personne ne veut être témoin d’une telle
bagarre, attendu que la police va arriver, donner raison aux officiers et
embarquer tous les passants, témoins ou pas.
    — Fous le camp, gamin, hurle Beauceron ; passe par
le haut.
    Un instant troublé, j’exécute l’ordre. L’Ours prend deux vers
luisants sous les bras et remonte ainsi la ruelle. À quelques mètres se trouve
un boulanger dont le fournil est situé en sous-sol. Sans se démonter, Beauceron
fait passer les deux corps par le soupirail. En bas, le mitron voit tomber dans
son pétrin deux formes noires. Les deux autres officiers arrivent à se dégager.
Moi, caché dans une encoignure de porte, je les entends hurler « À la
garde ! » en s’enfuyant. Il ne me reste qu’à regagner rapidement ma
chambre et attendre le lendemain les nouvelles que me confiera l’Ours.
L’affaire fait grand bruit à Saumur. Les partisans des officiers parlent
d’anarchie et de sacrilège. Les autres sourient de cette leçon donnée à une
caste soi-disant intouchable. Le général de Bouligny, commandant l’école,
furieux, exige qu’on lui présente les uniformes dégoulinants de pâte, puis met
les deux lieutenants aux arrêts. Le lendemain le général fait seller son
cheval, appelle son ordonnance et tous deux traversent Saumur au grand galop en
direction du chantier.
    Le lundi matin la reprise est en général dure. Des ouvriers
manquent à l’appel. Les goules fleurent fortement le vin. À mon poste de
contrôle des entrées, je suis étonné de constater que tout le monde répond
présent. J’en conclus qu’ils sont tous d’accord. Le mot de passe a été
donné : « Par solidarité que chacun soit à l’heure demain
matin. » Je vois donc arriver un beau cheval noir monté par un officier
couvert de galons et médailles. L’homme saute à terre. Son ordonnance prend les
rênes et emmène la bête un peu plus loin. À ce moment précis M. Rabier descend
de la barque qui fait la navette entre les deux rives. Très aimable et souriant
il se dirige au-devant du général en me faisant signe de le suivre. Les deux
hommes, face à face, se jaugent les yeux dans les yeux.
    — Entrez donc mon général. Excusez à l’avance le
désordre des bureaux. Ce matin nous entamons un travail très délicat.
    — Je n’en ai que pour un instant, Monsieur le
Directeur. Voici les faits : Hier soir des ouvriers charpentiers de votre
entreprise ont attaqué quatre de mes officiers. Vous comprendrez aisément que
ce scandale salit le renom de l’armée et que ces faits sont déplorables. Ces
charpentiers sont sûrement parmi les absents au travail, ce matin ?
    — Mais mon général, tous mes hommes sont à leur poste.
J’ai vérifié moi-même auprès des responsables. Ce jeune homme-là, chargé de la
surveillance de cette rive, vient de me le confirmer.
    — C’est une cabale alors, Monsieur le Directeur. Je
suis sûr de ce que j’avance.
    Monsieur Rabier prend son temps, allume son petit cigare,
tapote des rouleaux de plans et répond calmement :
    — Le mot semble bien gros. La cabale n’existe pas, mon
général. Pour vous en donner la preuve, je vais faire appeler trois de mes
hommes qui ne m’ont jamais menti. Je répète clairement : qui ne m’ont
jamais menti.
    Puis se tournant vers moi :
    — Blois, va me chercher Beauceron et les Portos. Tout
de suite.
    Quelques instants après, les trois hommes se découvrent et
l’Ours dit :
    — Vous nous faites demander, nous sommes à vos ordres.
    Le général contemple ces montagnes de muscles avec
curiosité. Il prend à vue d’œil les mensurations des épaules, des torses de ces
géants, puis interroge :
    — Où dénichez-vous de pareils gaillards ?
J’aimerais bien en compter de tels parmi mes cuirassiers. Mais revenons-en

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